lundi 21 décembre 2009

Les ambiguïtés des rapports entre les guerres civiles et le sous-développement en Afrique

Les ambiguïtés des rapports entre les guerres civiles et le sous-développement en Afrique

Par Guilain MATHE MAGHANIRYO

La présente réflexion part du débat suscité par une thèse soutenue par certains spécialistes des guerres civiles en Afrique. Thèse selon laquelle ce sont la pauvreté et le sous-développement qui sont à la base de ces affrontements. Aussi, jugeons-nous opportun de (res) susciter le débat autour de la relation dialectique entre la pauvreté (le sous-développement au sens large) et l’émergence des conflits armés (qui prennent la forme récurrente de guerre civile en Afrique) avec l’objectif d’ouvrir à de nouvelles pistes de réflexion sur la question.

En effet, dès le lendemain des indépendances, le continent africain s’est tristement illustré dans les explosions des conflits armés aux enjeux multiformes. Aussi vrai que le faisait remarquer Peter ANYANG’NYON’O en 1996, l’Afrique « se présente à la face du monde comme un vaste champ de bataille où s’affrontent pêle-mêle armées nationales, milices partisanes, populations civiles »[1]. Non sans des graves conséquences. A en croire Philippe HUGON, entre 1945 et 1995, plus d’un quart des conflits mondiaux ont été localisés en Afrique avec plus de 6 millions de morts sur des populations de 160 millions de personnes (Soudan, Ethiopie, Somalie, Mozambique, Angola, Ouganda, Rwanda, Burundi, Sierra Leone). Depuis 1990, 19 conflits majeurs ont été localisés dans 17 pays. La baisse des conflits majeurs en Afrique entre 1990 et 1997 a fait place à une reprise entre 1998 et 2000 (11 conflits par an)[2]. Le rôle de la pauvreté et du sous-développement caractérisant de nombreux Etats africains déchirés par ces conflits n’a jamais fait l’unanimité parmi les spécialistes des guerres civiles.

Peut-on soutenir la thèse selon laquelle ces paramètres (pauvreté et sous-développement) seraient fondamentalement à la base de ces affrontements ? C’est à cette préoccupation que s’efforce de répondre le présent exposé. Dans une approche dialectique[3], la présente réflexion se propose de relever et démêler les rapports de causalité réciproque (et apparemment contradictoires) entre la pauvreté et le déclenchement des conflits armés en se basant sur des exemples typiquement africains. De cette lutte des contraires se dégagera une synthèse qui mettra clairement en évidence notre point de vue sur la question.

La rareté des ressources : facteur déterminant dans le déclenchement des conflits en Afrique ?

Nombreux analystes de guerres civiles en Afrique soutiennent que l’émergence de ces conflits a pour cause, entre autres, la pauvreté et le sous-développement dans la région. Selon la Banque Mondiale, la pauvreté est un phénomène multidimensionnel qui traduit une situation dans laquelle les gens sont incapables d’assurer leurs besoins humains fondamentaux. Ainsi, les pauvres perdent le contrôle sur des ressources nécessaires pour s’assurer l’éducation et la santé de base et sont frappés de la malnutrition, le manque de logement, le faible accès à l’eau et à l’assainissement. Comme le fait remarquer la Banque Mondiale, les pauvres sont de ce fait vulnérables aux violences, à la criminalité, au manque de liberté politique et d’opinion[4]. Il y a peu, le rapport du PNUD indique qu’en début des années 2000, plus d’un milliard de personnes (soit une personne sur cinq) vivent dans une pauvreté abjecte (avec la parité du pouvoir d’achat inférieure à 1 dollar par jour)[5] ; et c’est l’Afrique (subsaharienne pour une grande partie) qui porte le fardeau d’avoir la plus grande proportion de personnes pauvres (47,67%)[6]. Selon la classification de la Banque Mondiale en 2002, des 63 pays à faible revenu, 38 sont situés en Afrique subsaharienne[7] et, paradoxalement, ces derniers sont dans la grande majorité associés à la trentaine des pays qui ont connu l’expérience des conflits intra-étatiques sur les 53 Etats africains. Cependant la place de la pauvreté dans le déclenchement et l’entretien de ces conflits mérite d’être bien disséquer.

L’accès aux ressources économiques ne constituent pas moins une motivation des antagonistes, en même temps qu’un enjeu de poids, dans le déclenchement et le déroulement des conflits en Afrique. Cette réalité est perceptible tant au niveau de la société étatique globale qu’au niveau des entités individuelles et collectives. Outre l’acquisition des données géostratégiques et les motivations liées au sentiment d’appartenance identitaire, les spécialistes de la géopolitique soulignent que l’une des chaînes causales de la conflictualité, quels que soient l’époque et le lieu, tient à la lutte pour les ressources : matières premières, minières, agricoles ou industrielles. Il s’agit de s’emparer de richesses, pour le profit d’un Etat, parce que celui-ci peut ainsi, en s’enrichissant, augmenter sa puissance[8]. Cette logique tout à fait justifiée pour les Etats dans une approche géopolitique stato-centrée, vaut aussi pour les groupes armés infra-étatiques autant qu’aux acteurs individuels car ils ont eux aussi besoin de ressources pour survivre ou accroître leur puissance. Appliquée à la réalité africaine, il est ordinaire de voir émerger les insurrections armées reprochant à leur détracteurs une appropriation des ressources par une élite aristocratique et une mauvaise redistribution du revenu national. Malheureusement dans de nombreux cas, une fois au pouvoir, ils ne reproduisent que les mêmes griefs reprochés aux prédécesseurs.

En fait, selon le Fonds des Nations Unies pour la Population, le taux moyen de fécondité pour l’Afrique en 2000 est d’environ 6%, avec la population la plus jeune du monde[9]. La plupart de ces jeunes sont au chômage et vivent dans des zones urbaines, avec des implications sociales et sécuritaires non négligeables. Or si les jeunes sont confrontés à l’esprit de pauvreté, ils sont plus favorables à rejoindre une insurrection armée qui leur offrirait ou promettrait les meilleures conditions d’existence. C’est dans ce cadre qu’il convient de comprendre le fait que la rébellion en Côte d’Ivoire a recruté la plupart des combattants parmi les jeunes désœuvrés vivant dans des quartiers populaires et d’autres milieux où règnent précarité, oisiveté et pauvreté. Cela est tout aussi vrai pour la rébellion Sierra Léonaise sur fond d’exploitation du diamant, la double révolte touareg au Mali et au Niger[10], la nébuleuse des milices à l’Est du Congo-Kinshasa avec la délicate problématique de la réinsertion des enfants-soldats[11].

Dans cette perspective, Jean-Marie BALANCIE et Arnaud de LA GRANGE décrivent l’Afrique subsaharienne comme un terreau propice à de nombreuses formes de violence politique. Pour ces auteurs en effet, les violences politiques en Afrique constituent une réplique à l’instabilité, à l’insécurité, au sous-développement, à la pauvreté, au déséquilibre socioéconomique : « pour qui dénonce la partialité de l’Etat, le dysfonctionnement du gouvernement ou l’inéquitable répartition des efforts de développement au profit de certains groupes ethniques ou de certains terroirs privilégiés, la pratique de la lutte armée apparaît dans l’Afrique des années 80-90, comme l’un des seuls modes de contestation vraiment efficaces »[12].

La frustration collective due à la disparité de la répartition des ressources économiques, accentuée par une inégale redistribution du revenu national ; là réside de toute évidence un ingrédient de taille dans le déclenchement de la conflictualité en Afrique. Cependant une relativisation de ce facteur mérite d’être minutieuse mise en évidence dès lors que les guerres civiles en Afrique sont loin d’être l’apanage du seul fait de la pauvreté du sous-développement.

Pauvreté et conflits en Afrique : la symétrie d’une causalité relative

Loin d’être une fatalité, les guerres civiles en Afrique se révèlent par ailleurs comme un arsenal d’acteurs et d’enjeux avec des conséquences fâcheuses sur le développement des pays en conflits. Les guerres civiles en Afrique révèlent en effet une complexité de facteurs de causalité, et la pauvreté qu’elles impliquent s’avère la résultante d’une série de facteurs à la fois endogènes et exogènes qui induisent le sous-développement comme conséquence majeure. Plusieurs facteurs plaident en faveur de cette réalité. Il est vrai, comme l’affirme Philippe HUGON, l’accaparement des richesses naturelles constitue à la fois le financement et l’enjeu des conflits : « on peut ainsi différencier les guerres liées au pétrole (Angola, Casamance, Congo, RCA, Soudan, Delta du Niger au Nigeria), au diamant (Angola, Guinée, Liberia, Nord de la Côte d’Ivoire, RDC, Sierra Leone), aux métaux précieux (or, coltan à Bunia en RDC), au contrôle de l’eau (riverains du Niger et fleuve Sénégal), aux narcodollars, au contrôle des ressources (coton au Nord de la Côte d’Ivoire, café et cacao au Sud), des ressources forestières et des terres (Burundi, Côte d’Ivoire, Darfour, Rwanda) »[13].

Force est de réaliser que la prétention de nombreux rebelles à assurer une meilleure redistribution des ressources nationales pour le bien-être de tous n’est qu’un simple prétexte qui voile en réalité la cupidité et d’autres agendas cachés des acteurs visibles et invisibles des guerres civiles. A ce titre, on réalise aisément que dans la plupart des rébellions, les mouvements rebelles n’ont pas d’agenda politique cohérent, mais sont plus intéressés par le pillage des ressources de l’Etat et de s’enrichir eux-mêmes ainsi que leurs disciples. C’est dans ce sens que David KEEN, sans méconnaître des facteurs d’ordre politique et sécuritaires dans leur déclenchement, soutient que les guerres civiles dans la plupart des pays en développement sont surtout une exploitation économique par les segments de l’élite dont l’aspiration a été contrecarrée par les élites concurrentes. A en croire l’auteur, les mouvements tels que National Patriotic Front of Liberia (NPFL), le Revolutionary United Front (RUF) de la Sierra Léone et le Mouvement Patriotique de la Côte d’Ivoire (MPCI) n’avaient pas de politiques claires à l’ordre du jour : leurs dirigeants sont plus des chefs d’entreprise que des dirigeants politiques[14].

Une telle reproduction des antivaleurs exacerbe plutôt le fossé de la pauvreté et du sous-développement. Il traduit la réalité des guerres menées au bénéfice des belligérants et leurs parrains étrangers, mais dont les paisibles populations paient par trop le lourd tribut. Cette logique démontre en toute évidence combien les guerres civiles constituent un facteur exacerbant la pauvreté et le sous-développement. Comme le fait remarquer Philippe HUGON, « les conflits réduisent la croissance économique et inversement de nombreux pays sortant des conflits connaissent une croissance rapide (Mozambique, Rwanda). Ces relations statistiques sont toutefois peu significatives en terme de sortie de trappes à sous-développement »[15]. C’est ainsi que l’Eglise Catholique n’a cessé de mettre en évidence la relation dialectique qui existe entre les conflits et la pauvreté, spécialement en Afrique. Se mettant à la suite de son prédécesseur PAUL VI pour qui « le développement est le nouveau nom de la paix », le pape JEAN-PAUL II soulignait déjà en 1993 les répercussions négatives que la situation de pauvreté finit par avoir sur la paix[16]. Vision corroborée par le Pape BENOIT XVI qui réaffirme avec force de taille que « combattre la pauvreté, c’est construire la paix »[17]. Aussi, à propos de la paix et du développement durable en Afrique, le porte-parole de l’Union Européenne à l’ONU affirmait avec justesse à New York, le 1er novembre 2000 : « le développement sans la paix n’est pas plus possible que la paix ne l’est sans le développement »[18].

Conclusion

A terme, il ressort de notre réflexion que la thèse qui situe la pauvreté et le sous développement à la base des guerres civiles en Afrique mérite d’être bien relativisée. La pauvreté et le sous-développement sont-ils des conditions suffisantes pour déclencher la guerre civile ? Pas si évident. Certes, la relation dialectique entre la pauvreté (et le sous-développement) et le déclenchement des guerres civiles est indéniable. Cependant, plutôt que d’être la cause exclusive et absolue des affrontements, la pauvreté se révèle à nos yeux comme un facteur aggravant des conflits armés en Afrique. Cela est d’autant plus vrai qu’il y a des Etats africains reconnus sous-développés depuis de longues années (tels le Benin, le Togo, la Tanzanie, le Botswana, la Zambie, la Namibie,…) mais qui n’ont jamais connu l’expérience lugubre des guerres civiles. De même, certains Etats assez avancés que d’autres (tel l’Algérie) n’ont pas été épargné par le fléau de la guerre. Il est cependant évident que la pauvreté soit une conséquence indéniable de la guerre. Toutefois, dans la mesure où la pauvreté constitue le ciment qui raidit la pente vers le déclenchement et la perpétuation des conflits armés, il va sans dire que l’on ne peut prétendre prévenir des conflits et construire une paix durable sans s’atteler à résoudre la question de la pauvreté et du sous-développement. En ceci, nous nous accordons avec Philippe HUGON pour qui « l’éducation des jeunes, la création et le passage d’économies de rente à des économies productives créant de la valeur ajoutée et des opportunités d’emploi sont des facteurs essentiels de réduction des risques de conflits »[19].

BIBLIOGRAPHIE

1. MATOKO, E., L’Afrique par les Africains. Utopie ou révolution ?, Paris, L’Harmattan, 1996

2. HUGON, P., Géopolitique de l’Afrique, Paris, Sedes, 2007

3. GRAWITZ, M., Méthodes des sciences sociales, 11e édition, Paris, Dalloz, 2001, pp. 441-443.

4. Mesurer la pauvreté”, in http://worldbank.org/poverty/mission/up2.htm

5. Choices”, in Development Magazine, Mars 2003

6. Rasheed DRAMAN (sous la préparation de), Pauvreté et conflits en Afrique : expliquer une relation complexe, Réunion du Groupe d’experts sur l’Afrique-Canada, Addis-Abeba, 19-23 mai 2003

7. Le Groupe Banque Mondiale: Données et statistiques

8. CHAUPRADE, A.et THUAL, F., Dictionnaire de géopolitique : Etats, concepts, auteurs, 2e édition, Paris, Ellipses, 1999

9. KOUASSI Yao, Le processus de formation des guerres civiles en Afrique, notes de cours, DESS Gestion des Conflits et paix, CERAP-Abidjan, 2009-2010.

10. MATHE M. Guilain, « Les pratiques magico-mythiques dans la célébrité des milices mayimayi au Kivu en RDC », in WARA Newsletter, Boston, Spring 2009

11. BALANCIE, J-M. et DE LA GRANGE, A., Mondes rebelles. Acteurs, conflits et violences, tome 1, Amérique-Afrique, Paris, Michalon, 1996

12. Message pour la journée mondiale pour la paix de 1993.

13. Combattre la pauvreté, construire la paix », Message pour la célébration de la journée Mondiale de la Paix, 1e janvier 2009.

14. BANAGOUN Zan, “Armées africaines et développement durable », in Géopolitique africaine : l’Union Africaine à la recherche de la paix, n°23, juillet-septembre 2006.

Guilain MATHE MAGHANIRYO est chercheur-politologue boursier de Scholar Rescue Fund’s Institute of International Education (SRF/IIE). Il se spécialise en Gestion des conflits et paix à l’Ecole de Sciences Morales et Politiques d’Afrique de l’Ouest (ESMPAO/ CERAP) à Abidjan (Côte d’Ivoire).



[1] MATOKO, E., L’Afrique par les Africains. Utopie ou révolution ?, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 224.

[2] HUGON, P., Géopolitique de l’Afrique, Paris, Sedes, 2007, p.129.

[3] La dialectique procède par la confrontation de la thèse à l’antithèse pour dégager la synthèse et « elle part de la constatation très simple des contradictions qui nous entourent ». Cfr. GRAWITZ, M., Méthodes des sciences sociales, 11e édition, Paris, Dalloz, 2001, pp. 441-443.

[4] Voir “Mesurer la pauvreté”, in http://worldbank.org/poverty/mission/up2.htm

[5]Choices”, in Development Magazine, Mars 2003

[6] Lire à ce propos Rasheed DRAMAN (sous la préparation de), Pauvreté et conflits en Afrique : expliquer une relation complexe, Réunion du Groupe d’experts sur l’Afrique-Canada, Addis-Abeba, 19-23 mai 2003, pp. 3-4.

[7] Le Groupe Banque Mondiale: Données et statistiques

[8] CHAUPRADE, A.et THUAL, F., Dictionnaire de géopolitique : Etats, concepts, auteurs, 2e édition, Paris, Ellipses, 1999, p.487.

[9] « Fonds des Nations Unies pour la Population, 2000 », Cité par DRAMAN, R., op.cit, p.10

[10] Lire à ce propos KOUASSI Yao, Le processus de formation des guerres civiles en Afrique, notes de cours, DESS Gestion des Conflits et paix, CERAP-Abidjan, 2009-2010.

[11] Cfr. MATHE M. Guilain, « Les pratiques magico-mythiques dans la célébrité des milices mayimayi au Kivu en RDC », in WARA Newsletter, Boston, Spring 2009, p. 15

[12] BALANCIE, J-M. et DE LA GRANGE, A., Mondes rebelles. Acteurs, conflits et violences, tome 1, Amérique-Afrique, Paris, Michalon, 1996, pp. 187-190.

[13] HUGON, P., op.cit, p.133

[14] DRAMAN, R., op.cit, pp.10-11

[15] HUGON, P., op.cit., p.141

[16] Message pour la journée mondiale pour la paix de 1993.

[17] “Combattre la pauvreté, construire la paix », Message pour la célébration de la journée Mondiale de la Paix, 1e janvier 2009.

[18] BANAGOUN Zan, “Armées africaines et développement durable », in Géopolitique africaine : l’Union Africaine à la recherche de la paix, n°23, juillet-septembre 2006, p.78.

[19] HUGON, P., op.cit., p.147

1 commentaire:

FOLO-RALPH BOSOMBO a dit…

C' est un probleme politique, et non la pauvrete. je vous recommende le document publier au reseau de grand lac. seulement taper ''la vision de Kisangani'' sur la barre de recherche de google. et en suite vous verrez le document. par la je voulais dire ceci tant que les africains ne cherchent pas les vrai problemes dans leure societe et donner la solution a ses problemes, il n y aura jamais la paix. Le cas du RDC, le vrai probleme politique tourne autours du conflict du personnelles politique nationale (LUMUMBISTES, MOBUTISTES, KABILISTES ET TSHISEKEDISTES). Le modele architectural integral sociopolitique de la vision de Kisangani est la solution a nos vrais problemes.

Albert yangala