mercredi 21 janvier 2009

Barak Obama dans le miroir politique africain

Barack Obama dans le miroir politique africain : triomphe d’une identité culturelle ou illusion eschatologique ?

Par Guilain MATHE MAGHANIRYO

Ancien de l’Université Catholique du Graben (UCG) et Diplômé de l’Université de Kisangani (UNIKIS), il est spécialiste en Géopolitique et Transformation des conflits. Assistant à la Faculté de sciences sociales, politiques et administratives de l’Université Officielle de Bukavu (UOB, en RDCongo), Membre du Centre de Recherches Politiques et Sociales d’Afrique Noire (CEREPSAN); il est actuellement fellow de Scholar Rescue Fund/ Institute of International Education (SRF/IIE) et Chercheur au West African Research Center (WARC) de Dakar (Sénégal)

Tel : +221 77 415 87 06 ; Email : matheguilain@yahoo.fr

Nous consacrons cet article à Solange qui a su surmonter l’épreuve ainsi qu’à Alphonse et Carol pour toute l’amitié.

La sociologie vous surprendra par l’interprétation qu’elle donnera de votre propre société. (Raymond ARON)

Remerciements

Le présent article est le premier né d’une nouvelle ère de notre cursus académique augurée en octobre 2008. Celle d’un chercheur contraint de vivre loin de sa «terre naturelle » à cause de la résistance des hommes à assumer la responsabilité de leurs actes, de leurs rôles et de leurs pensées devant une interprétation scientifique objective et rigoureuse. Fort heureusement, il est encore au monde des âmes qui veillent et éveillent.

Nous remercions vivement la Scholar Rescue Fund/ Institute of International Education (SRF/ IIE) qui veille par son soutien désintéressé ayant finalement redonné tout son sens à notre vocation scientifique. Avec elle, notre gratitude s’adresse au West African Research Center (WARC) ainsi qu’à sa parente, la West African Research Association (WARA), dont l’hébergement de notre modeste personne éveille en nourrissant constamment l’appétit pour la recherche.

Trois mois d’observation désengagée et de « socialisation culturelle »[1] dans un environnement qui respire l’air de la paix.

Introduction

L’élection du quarante-quatrième président des Etats-Unis en novembre 2008 a donné légitimement de la matière à réflexion. Peut-être avons-nous eu le privilège d’être témoins d’un fait qui ne se répétera plus avant une génération. Celui de voir démocratiquement hissé à la tête de la plus puissante nation du monde un « homme de couleur » aux origines africaines, dans un Etat majoritairement peuplé des blancs.

Comme ne pouvait jamais l’envisager le commun des mortels, l’élection d’un afro-américain dans une Amérique historiquement chargées des stigmates esclavagistes et d’oppressions en l’encontre de cette identité noire constitue vraisemblablement une mutation de taille dans l’histoire des cultures et des peuples. Un « coup de force symbolique de représentation »[2] certes, mais également une « force de frappe démocratique américaine »[3] qui laisse pâle le reste du monde.

Sur le continent africain, l’enthousiasme est excessif dans les milieux socio- politiques, parfois même démesuré, et les espoirs abondent à teille enseigne qu’on n’hésite pas de le qualifier de « phénomène Obama ». En tout cas jamais de l’histoire on a vu une Afrique aussi politiquement rapprochée des Etats-Unis et aussi optimiste quant à l’engagement plus humain et plus équitable de la superpuissance dans la thérapie de tant de maux qui taraudent le continent noir.

Comment la victoire électorale de Barack Obama a-t-elle reconfiguré l’imaginaire politique africain ? Quelle est la motivation (non) déclarée qui sous-tend l’enthousiasme en Afrique largement accentué pour cette victoire? Serait-il l’expression d’une « affirmation de soi », nourrie par la mémoire partagée de l’oppression subie et historiquement ancrée dans la conscience des noirs américains d’origine africaine (mobilisation sub-culturelle) ; ou plutôt une riposte africaine contre l’impérialisme américain (mobilisation contre- culturelle) ? A qui finalement profite l’élection d’Obama à la Maison Blanche ?

La réponse à ces questionnements nous a imposé une rigueur méthodologique en vue d’appréhender objectivement notre objet d’étude. Celle-ci a tiré le maximum de profit dans l’approche géopolitique (utilisée généralement pour comprendre les rapports de puissance entre Etats), appuyée sur l’observation libre ponctuée des entretiens non directifs d’une part, et de la revue documentaire de l’autre.

L’observation libre, comme le stigmatisent Raymond QUIVY et Luc Van CAMPENHOUDT, suppose que le chercheur observe de l’extérieur sans participer à la vie du groupe : « l’observation peut être donc de longue ou de courte durée, faite à l’insu de ou avec l’accord des personnes concernées, ou encore être réalisé sans ou avec l’aide des grilles d’observation détaillées »[4]. Nous avons été amené maintes fois à déclencher les débats tant avec certains africains (de catégories sociales variées) qu’avec des citoyens américains (étudiants et chercheurs pour la plupart en séjour au Sénégal) autour de la présidentielle américaine ; attitude qui nous a placé en bonne posture pour appréhender la perception variée des faits. La revue documentaire nous a quant à elle versé, de manière aléatoire et sans quiproquo, dans la documentation abondante fournie en (dis) continue par les médias (aussi bien audio-visuels qu’électroniques) en rapport avec notre objet d’étude.

L’approche géopolitique usitée dans cette étude se justifie en ceci qu’à en croire François THUAL, « la géopolitique parcourt l’histoire avec une préoccupation autre que celle d’un historien car elle veut connaître le pourquoi des choses et non seulement leur comment : chercher les intentions et circonscrire l’intentionnalité fondent la spécificité, en même temps la légitimité de la démarche géopolitique »[5]. En ce sens, nous avons été amené à chercher à comprendre les comportements aussi bien étatiques, individuels que collectifs, dans leurs aspirations tant historiques que spatiales, vis-à-vis des dernières élections aux Etats-Unis. Ce qui nous a appris ainsi à « échapper à l’événementiel, fourni en continu et en surabondance par les médias, pour accéder à l’explicatif »[6]. Méthodologie qui nous permet de démêler l’intentionnalité (in) avouée des acteurs tout au long de cette étude.

I. Quand l’image d’Obama ravive la mémoire partagée d’un long combat pour la liberté

Aux Etats-Unis, l’identité politique d’Obama s’est vite transformée en un mythe historiquement fondé. Celui nourri par les porte-étendards de la lutte pour la liberté des noirs d’Amérique des années soixante et qui a marqué, et même restructuré, le quotidien de l’identité afro-américaine. Dans l’imaginaire afro-américain en effet, la personne d’Obama est le reflet parfait et incarne l’accomplissement du rêve prophétique de Martin Luther King[7] émis il y a quarante-cinq ans, même si celui-ci n’est plus pour voir la matérialisation de sa prophétie. Rêve d’une Amérique affranchie des clivages raciaux, une Amérique où « le noir sera jugé à l’aune de son caractère »[8], et non plus de la couleur de sa peau.

Ce mythe prophétique reflété par Obama a sensiblement influé sur la construction identitaire de sa personnalité politique et la symbolisation du changement (hypothétique ?) qu’il se dit augurer aux Etats-Unis et dans le monde. D’aucuns n’ignorent l’emprise du rêve de Luther King sur l’imaginaire collectif des afro-américains, encore dans l’attente de voir le terme aux ségrégations persistantes dont ils sont l’objet en dépit de l’avancée considérable réalisée dans la jouissance des droits civiques.

L’autre fait est que cette mythologie prophétique que rayonne la personne d’Obama est renforcée par le mythe numérologique du chiffre 40 fortement ancrée dans les croyances religieuses que partagent la plupart des noirs américains. Non seulement son ascension politique coïncide avec la quarantième année après l’assassinat tragique de pasteur Martin Luther King le 4 avril 1968 à Memphis, mais aussi c’est le 27 mai 1968 qu’un candidat démocrate à la présidence, M. Robert Kennedy, a prédit, une semaine avant son assassinat, qu’un afro-américain pourrait devenir président en 2008 en ces termes : « Les choses évoluent si rapidement dans le domaine des relations interraciales qu’un noir pourrait devenir président dans quarante ans. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Dans quarante ans, un noir pourra occuper le même poste que mon frère (…) Les préjugés existent et il est probable qu’ils persisteront (…) mais nous essayons de faire des progrès et nous en faisons. Nous n’allons pas accepter le statu quo »[9].

En bon stratège politique, Obama a rationnellement misé sur cette ficelle mythologique dans sa course électorale en la transformant en une ressource politique dont il a effectivement tiré le maximum de profit. On retiendra notamment le recours fréquent aux paroles d’une sensibilité inégalée, puisée des discours de Luther King, et qui ont ressuscité les souvenirs des moments tragiques et passionnant du héro afro-américain de la non-violence[10]. D’une part, son recours à l’imagerie mythique de Luther King l’a permis de transcender les allégations opposées (non) objectivement à son identification à la culture afro-américaine (parce que justement n’étant pas l’émanation directe de la descendance des esclaves déportés d’Afrique). Peu importe pour les afro-américains, l’essentiel est la couleur de sa peau. Si l’on en croit Mark KESSELMAN en effet, « le clivage racial s’observe dans les sondages sur les intentions de vote puisque 85% des noirs voteraient démocrates, et 70% des blancs, républicains, alors que les hispaniques sont encore partagés »[11]. En même temps, Obama a su délicatement se débarrasser de la casquette du candidat de « la communauté noire », et s’est vu affublé des mots de « not black enough ».

D’autre part, ses discours rassembleurs prononcés depuis son investiture comme candidat démocrate jusqu’à l’aurore de son élection, inspiré minutieusement de ceux prononcés par Luther King plus de quatre siècles plus tôt [12], ont été parmi les facteurs déterminants (et non exclusifs) qui lui ont valu la confiance des américains de races et cultures diverses, bien que la part des minorités (latinos, chicanos, amérindiens) a été non moins significatives, du fait de la mémoire communément partagée des injustices subies et des discriminations endurées. Celles-ci en effet semblent s’être définies dans la personne d’Obama qui incarne le symbole d’un peuple opprimé en quête d’une redéfinition de soi. Comme le pense en fait Peter Novick, analysant des mécanismes de construction et d’activation de l’identité collective, « cette définition de soi s’élabore autour d’une mémoire partagée au sein de laquelle le souvenir d’injustices subies constitue fréquemment le ciment émotionnel le plus puissant »[13].

Il suffit de décrypter les résultats électoraux pour s’imprégner de la mobilisation inégalée lors des élections de novembre 2008 par rapport à celles réalisées depuis trois ou quatre décennies. En effet, plusieurs observateurs s’accordent que la forte mobilisation des noirs et des latinos américains (lesquels partagent la mémoire commune de la lutte sanglante pour les droits civiques) n’a pas été moins déterminante dans l’issue de la bataille électorale[14]. Du fait, le taux de participation a été surprenant (près de 135 millions d’électeurs contre 120 millions en 2004), attribuant à Obama le meilleur score jamais remporté par un candidat démocrate depuis Lyndon Johnson en 1964, en même temps que le plébiscite de la majorité populaire jamais remportée par un démocrate depuis Jimmy Carter en 1976[15]. Non seulement Obama a été vainqueur dans tous les Etats remportés par le candidat démocrate, M. Kerry, lors de l’élection présidentielle de 2004, mais aussi il a gagné Ohio, Iowa, Floride, Nouveau-Mexique, Colorado, Nevada et Virginie ; Etats qui avaient voté pour M. Bush lors des deux élections présidentielles précédentes[16].

Dans cette approche des problématiques identitaires comme ressort de l’action collective, il ressort que les fortes mobilisations des noirs et d’autres minorités pour le soutien d’Obama se sont révélées comme des mobilisations sub-culturelles, celles-ci étant, selon Hans KRIESI et Ruud KOOPMANS, celles où la « dimension « affirmation de soi » ne revêt pas moins une importance privilégiée »[17]. En est l’illustration, le fait que l’identité afro-américaine de Obama ait brouillé le choix électoral des partisans noirs républicains. Qualifiés génériquement des « Obamacons » par certains observateurs, (comprenez par là les conservateurs pro Obama), la plupart ont votés pour Obama sans renier leur appartenance partisane. Parmi eux, nombreux sont ceux qui ont voté démocrate la première fois de leur vie[18]. Facteur qui a sans doute été pour quelque chose dans le triomphe d’Obama en Virginie (18 à 20% des noirs) et à Ohio regorgeant des populations noires en des proportions significatives.

La construction symbolique de l’identité d’Obama se trouve représentée autrement dans l’imaginaire collectif africain. Il est vrai, non seulement l’origine africaine des noirs américains constitue un facteur de taille qui suscite des sentiments de solidarités transnationales entre africains et afro-américains sur le fond racial, sentiments renforcés par les souvenirs partagés de l’esclavage et de la colonisation ; mais aussi les origines africaines proches d’Obama, né d’un père kenyan il y a quarante-sept ans, font que les africains s’approprient cette victoire comme la leur. Pourtant, cette dimension n’explique pas à elle seule, comme d’aucuns pourraient le prétendre, les liesses exorbitantes suscitées en Afrique par la victoire historique d’Obama. Il convient de relever et démêler les réactions déclenchées en surabondance à la suite de cette victoire dans les milieux socio- politiques africains pour s’en rendre compte.

II. L’élection d’Obama et la reconfiguration dans l’imaginaire politique africain : entre euphories et délires

Si aux Etats-Unis les fortes mobilisations des noirs (et d’autres minorités par ailleurs) autour d’Obama peuvent s’interpréter à juste titre en tant qu’ « expression d’un besoin de reconnaissance qui libère les groupes dominés d’une image dépréciative d’eux-mêmes »[19] selon les termes de Charles TAYLOR, cela mérite d’être méticuleusement nuancé en Afrique au regard des motivations dissimulées qui ont sous-tendu euphories et délires sur le continent noir, et qu’il convient de dévoiler et démêler.

En effet, il s’avère que dans l’imaginaire africain l’ascension politique d’Obama semble plutôt s’inscrire dans le rapport qu’entretiennent entre elles les deux structures mythiques de la temporalité : le prestige des origines et l’impression eschatologique. D’un pays Africain à l’autre, liesses et délires vont bon trait, aussi bien dans l’attente optimiste de sa victoire qu’au lendemain de l’annonce des résultats du scrutin, autant dans la société civile qu’au sein de la classe politique.

Au regard de nombreuses réactions, il y a lieu d’insinuer, sans exagération inconsidérée, que l’enthousiasme suscité en Afrique par la l’élection d’Obama présente on dirait l’image d’un temps messianique qui vient tout reconfigurer, un moment post apocalyptique en quelque sorte, où la venue d’« Obama le libérateur », ou tout au moins, « Obama le novateur », vient tout corriger, en produisant « une fin d’un temps, sinon une fin des temps, et l’apparition d’un nouveau temps, prélude à un monde nouveau »[20].

Cependant ce reflet d’Obama dans l’imaginaire africain mérite d’être relativisé. En effet, la représentation mythique de son personnage se présente d’une ampleur et d’une forme différente selon les divers milieux sociaux. Alors que la dimension eschatologique semble plus marquée au sein des populations de la rue, assez significative dans les milieux religieux, dans une certaine mesure et pas la moindre dans la classe politique ; elle est cependant fort nuancée dans les milieux scientifique et médiatique. Dans la plupart des cas cependant, Obama est labellisé par rapport aux aspirations et aux préoccupations du moment propres à chaque milieu ou aux événements socio- politiques plus ou moins récents qui ont affecté la conscience collective du milieu.

Le fait par exemple que dans certaines rues de Dakar (et même dans d’autres régions du Sénégal[21]) on a vu des placards et des calicots portant des photos d’Obama avec des inscriptions comme « visa des Etats-Unis gratuits jusque 30 novembre 2008 », dénoteraient l’aspiration de nombreux sénégalais (et de beaucoup d’autres africains) à immigrer aux Etats-Unis. Il y va de même de cette image comique qui a fait la ronde sur Internet et fort distribué au delà des frontières de nombreux pays, présentant un camion de type « Benne » surchargé de bagages et d’une centaine de personnes africaines noires assises sur le bagage, tout en poussière, avec le message en banderole « la famille d’Obama se rend à la Maison Blanche… ». Les photos d’Obama ont inondé la rue, collées sur des véhicules et sur des murs de nombreux milieux urbains africains, comme s’il s’agissait de l’élection de leur propre président. Des équipes des supporteurs d’Obama ont été formées dans les coins et recoins des pays africains, comme dans le village de Kogelo au Kenya. Beaucoup d’africains, particulièrement au Kenya, se sont rangés en marche de soutien à Obama avec les drapeaux étoilés américains.

L’homme religieux (naïf ?) n’a pas manqué de tirer son épingle du jeu. Dans certaines Eglises de réveil de Kampala, de Nairobi et de Butembo[22] (au Congo-Kinshasa) par exemple, l’émergence politique fulgurante d’Obama, un noir à la tête d’un Etat majoritairement blanc, est l’un des signes des grands bouleversements préludes à l’arrivée imminente de la fin des temps, et donc faut-il que noirs et blancs en tirent toutes les leçons. De même l’islamisation d’Obama (du fait de l’un de ses noms de Hussein à consonance musulmane ?), n’a pas manqué de brouiller la carte. On sait en fait qu’aux Etats-Unis, la minorité noire, « à partir de la lutte pour les droits civiques, encore dominée par la revendication d’intégration, (en) est venue à développer un projet d’affirmation identitaire autour d’un afro- islamisme »[23].

Alors que l’étiquette musulmane[24] a été collée à Obama aux Etats-Unis dans un but préjudiciel pour sa campagne, cela au contraire lui a été largement une ressource pour se tirer l’enthousiasme de nombreux (Etats) musulmans africains[25]. Obama en effet, tout en affichant activement son christianisme (membre de l’Eglise Unie du Christ de la Trinité, dans le South Side à Chicago, comme il a révélé lui-même à Dubuque dans l’Iowa), n’a pas hésité de manifester ses rapprochements avec le monde musulman, comme il l’a si bien déclaré à Clarion dans l’Iowa : « Le jour où je deviendrai président, je crois que notre pays se regardera d’une manière différente, et aussi que le monde regardera l’Amérique différemment. Parce que j’ai une grand-mère qui vit dans un petit village d’Afrique, sans eau courante ni électricité. Parce que j’ai passé des années importantes de mon enfance en Asie du Sud-Est, dans le plus grand pays musulman du monde »[26]. De même, en Afrique de l’Est où la langue d’expression est le swahili, Obama n’a pas manqué de fasciner du fait de son nom de Barack, que beaucoup d’africains de la sous région préfèrent prononcer fièrement « Baraka » (dont la traduction en français est « bénédiction »)[27]. On voit là l’enjeu idéologico- culturel dans les soutiens de certains milieux religieux de l’élection d’Obama.

Par ailleurs, les milieux scientifiques et médiatiques se sont révélés assez critiques quant à la dimension « eschatologique » de l’élection d’Obama vis-à-vis de l’Afrique. Bien que la tentation de glissement vers la subjectivité ait été grande dans les espaces tant médiatiques[28] que scientifiques qui se sont voués à l’analyse du phénomène[29], nombre d’analystes croient peu aux changements dans les rapports entre l’Afrique et l’Amérique. C’est à l’instar de Daniel SILKE, analyste politique sud-africain, pour qui « même si son élection pourrait avoir un impact émotionnel ou psychologique positif pour l’Afrique, son soutien véritable pour le continent sera limité par la politique étrangère des Etats-Unis ». Et d’ajouter que « dans un contexte de crise financière, l’Amérique va trouver difficile de dépenser plus d’aide »[30]. Cette vision est corroborée par Somadoda FIKENI, président du conseil d’administration de l’université sud-africaine Walter Sisulu, pour qui « il est probable qu’il (Obama) poursuive les politiques actuelles et fournisse le même montant d’aide à l’Afrique » pour éviter de porter le flanc aux critiques. Il ajoute que le président élu Obama aura la difficile tâche de rassurer les pays africains sur le nouveau commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom) qui a pour objectif d’apporter une assistance en matière de sécurité[31].

En ce qui concerne la classe politique, les messages de félicitations des hommes politiques fusant de divers Etats africains n’ont pas manqué d’exprimer leur optimisme au changement auguré par la victoire d’Obama dans leurs relations avec la puissance américaine, en faveur de l’Afrique (de leurs Etats en particulier, pour la plupart) et du monde. Alors que Nelson MANDELA, premier président noir d’Afrique du Sud, est rassurant : "Nous avons confiance que vous combattrez également partout le fléau de la pauvreté et de la maladie" ; le président Abdelaziz BOUTEFLIKA, lui, est confiant dans l’intensification des relations entre son pays et celui d’Obama: "Je me réjouis de la perspective de travailler avec vous pour poursuivre et intensifier les échanges politiques entre nos deux pays et porter notre coopération bilatérale à la hauteur du potentiel qui s'offre à son développement"[32]. Nombreux d’autres chefs d’Etats[33] ont exprimés des positions similaires, présageant un bon augure des rapports plus harmonieux et plus prospères de leurs Etats avec la première puissance économique mondiale. Des messages de ce genre n’ont rien d’étonnant et traduisent des formules de félicitation d’usage tout à fait fondées qui dénotent l’aspiration mutuelle des Etats à entretenir des relations amicales.

Certains d’entre eux n’ont pas manqué de marquer de leur spécificité. Le président rwandais Paul KAGAME qualifie la victoire d’Obama de « stimulant » pour un changement en Afrique[34], tandis qu’une citoyenne rwandaise en profite pour évoquer la mémoire du génocide, non sans déraison : "Les Républicains aiment les guerres. Les Démocrates se soucient des problèmes sociaux. Obama pense au Darfour, au Zimbabwe. Il n'hésitera pas à subvenir aux besoins des victimes du génocide rwandais", soutient Alexandrine, qui a un T-shirt avec une photo de son idole[35]. Vision en partie divergente d’avec celle levée de la République Démocratique du Congo, qui est en situation diplomatique délicate avec le Rwanda (du fait de son implication dans la crise congolaise) et accusant constamment ce dernier de bénéficier de quelques soutiens sécuritaires de la puissance américaine. Le président de l’assemblée nationale, M. Vital KAMERHE, n’a pas ainsi rater l’occasion pour tenir des propos frisant victimisation: «Nous attendons du nouveau président américain qu’il puisse comprendre les vraies raisons et les vraies causes de cette guerre. Que nous quittions le discours que nous avons entendu en son temps où les démocrates étaient au pouvoir, Bill Clinton et les autres, que pour résoudre les problèmes des Grands Lacs, le Congo est trop grand, il faut aller vers la partition du Congo. Je pense qu’il ne faut pas commettre cette erreur»[36].

A son tour, l’Ougandais Yoweri MUSEVENI, lors de son allocution de félicitation à Obama, n’a pas manqué de susciter les stigmates de la colonisation et de l’esclavage, en déclarant que le continent se réveille du sommeil qui l’a vu subir le commerce des esclaves, la colonisation et la marginalisation[37]. Rares sont les chefs d’Etat comme le zambien Rupiah BANDA et le sénégalais Abdoulaye WADE qui déclarent expressément ne pas attendre des miracles et des cadeaux du président élu. Comme l’a affirmé ce dernier devant la caméra de la télévision nationale sénégalaise, « le président élu des Etats-Unis Barack Obama doit être avant tout perçu comme un américain par les africains qui doivent ensuite dans un deuxième temps, l’aider à redresser son pays »[38]. D’une manière générale, la dissection des divers propos des hommes politiques africains dévoile l’enjeu stratégique qui sous-tend les liesses suscitées en Afrique par la victoire d’Obama.

Tout compte fait, tout porte à croire que les euphories et délires suscités de manière générale en Afrique par l’élection d’Obama s’avèrent l’expression des sentiments quelque peu misérabilistes qu’éprouvent ces milliers d’africains vis-à-vis d’une Amérique « sans scrupules ? » à l’égard de ses misères alors qu’elle se serait développée à ses dépens. Serait-ce là une riposte d’un continent stigmatisé par les méfaits de l’impérialisme américain dont la politique étrangère mue par son idéologie capitaliste n’a pas été la meilleure amie pour l’Afrique ? Il n’en semble pas moins. Dans cette optique, les soutiens africains à Obama traduiraient alors, comme nous renseignent savamment Hans KRIESI et Ruud KOOPMANS, des mobilisations contre- culturelles « caractérisées par une volonté de rupture : avec les attitudes politiques dominantes, avec un système de valeurs établi »[39].

Le prestige des origines africaines d’Obama aura joué le rôle de catalyseur dans les croyances suscitées en Afrique que sa venue à la Maison Blanche augure une ère nouvelle tant pour le continent noir que pour le monde. Il est vrai, durant ses années au sénat, Obama n’a pas manqué de manifester ses soucis pour l’implication plus engagée des Etats-Unis dans la résolution des dossiers brûlants en Afrique. C’est ce qu’en témoigne le projet de législation qu’il a initié avec quatre autres sénateurs et défendu au congrès américain le 16 décembre 2005, sur la situation de la crise congolaise et ses répercussions désastreuses dans la région des Grands Lacs africains : "If Africa is to achieve its promise, resolving the problems in the Congo will be critical," said Obama. "Already, the region's overlapping ethnic identities, and abundant natural resources have made the country a magnet for fighters from a half-dozen neighboring countries. If left untended, Congo's bloodshed will continue to infect the entire region and the continent. This bill is an important step on the long road towards bringing peace and prosperity to the Congo, and I am proud to be a part of a collaborative, bipartisan effort with some of the Senate's leading voices - Brownback, Durbin, DeWine - on Africa"[40].

Aussi, très optimiste dans le fait que la présidence d’Obama va donner une nouvelle image à la politique étrangère américaine en Afrique, Howald WOLPE[41] affirmera dans une interview à americagov que M. Obama est « sensible à la nature économique, sociale et politique des défis que doit relever le tiers-monde, et pas seulement en Afrique. Il fait preuve (…) d'une bien plus grande maîtrise des problèmes à régler que nombre de nos dirigeants jusqu'à présent». Et d’ajouter que les origines de M. Obama (son père étant kényan), renforcent ses sensibilités culturelles et sa compréhension des problèmes auxquels se heurtent les pays en développement. Dans ce sens, nous pensons donc que les fortes mobilisations suscitées en Afrique par l’élection d’Obama ne semblent pas infondées.

La grande question à évoquer demeure celle de savoir s’il faut nécessairement être président noir (d’origine africaine), comme l’est Obama, pour être (pré) disposé à « compatir » aux misères africaines, ou au contraire être blanc pour se méfier du sort du continent noir[42]. En outre, comment Obama saura-t-il répondre aux aspirations hétéroclites, voire contradictoires, exprimées par les africains devant la complexité des défis qu’affronte actuellement « son Amérique » sur la plan tant interne qu’international ? Nous allons tenter de démêler ces facteurs dans le chapitre qui suit.

III. L’Afrique à l’épreuve de l’impérialisme américain en crise : et si le régime Obama se rétractait?

Comme nous venons de l’étayer ci-dessus, il se fait que la labellisation politique de Barack Obama ne suscite pas moins de controverses dès l’aurore de son élection. Dans les milieux socio- politiques africains, il ne reste pas moins qu’il reflète une image à la fois uniforme et caricaturée. Alors que la première tient à ses origines africaines indissociablement liées à la couleur de sa peau, la dernière quant à elle, découlant de la première, tient à des étiquettes idéologico- culturelles qu’on lui colle au point de le déposséder presque de son « américanité ». Il s’en suit la reconfiguration des rapports Etats-Unis – Afrique dans l’imaginaire socio- politique du continent noir.

Si l’accession d’un afro-américain au plus haut sommet de l’Exécutif de la plus puissante nation du monde pourrait être considérée comme le symbole de victoire de la longue lutte pour l’émancipation d’une identité culturelle longtemps marginalisée, l’identité noire américaine; des milliers d’africains emplis d’espoirs (non sans démesure) ne risquent-ils pas de tomber dans une illusion eschatologique à l’égard d’un Obama dont l’Amérique est plus que jamais confrontée à une complexité des défis tant internes qu’internationaux au risque de basculer sa superpuissance mondiale? Trop attendre d’un Obama déjà largement surpassé par des défis, ne serait-ce pas courir le risque de caricaturer le sens profond de sa victoire électorale sur le sort de l’identité des noirs ? En fait, il s’avère que Obama hérite d’un lourd passif du régime qu’il doit succéder et incarne aux yeux des citoyens américains le changement sur plusieurs plans[43]. On ne peut minimiser l’emprise qu’ont eu ses slogans « Change, we need! Change we can ! », point focal de sa campagne électorale, sur le choix opéré par ses électeurs.

Pour s’imprégner des changements espérés par les américains de la présidence d’Obama, il convient d’abord de parcourir l’architecture politique qui a jalonné le système politique américain depuis trois décennies. Relevons ici le fait que la victoire d’Obama est une rupture d’avec la grande révolution conservatrice entamée au lendemain des années 70 par Ronald Reagan. Depuis la fin du mandat de Jimmy Carter en 1981, les Etats-Unis ont été dirigés à droite toute. Huit ans de Ronald Reagan, quatre ans de Bush- père, huit ans d’un Bill Clinton démocrate, mais contrôlé par un congrès républicain et incapable de tenir sa promesse électorale d’une assurance-maladie pour tous et, enfin, huit ans de Bush- fils[44].

En outre, sur le plan interne, non seulement la crise financière fait rage sur les conditions socio- économiques des citoyens américains[45], mais aussi percute des conséquences désastreuses sur les sociétés côtés en bourse et les grandes banques américaines (Wall Street, Citygroup, ect.), lesquelles sont confrontées à une récession sans précédent avec toutes les conséquences que cela implique sur le prestige économique international de la puissance américaine.

Par ailleurs, au niveau international, le poids de l’investissement militaire des Etats-Unis, notamment en Irak et en Afghanistan, sous prétexte de la lutte contre le terrorisme, pèse lourd sur le régime Bush (près de 260 milliards de dollars durant les cinq premières années de guerre)[46], avec des conséquences réelles sur la récession de l’économie américaine, à teille enseigne que le sort des milliers des soldats perdus dans cette guerre jugée inutile préoccupe plus d’un américain[47]. En même temps, paradoxalement, le complexe militaro-industriel (lobbies des armes et du pétrole pour la plupart), sans lequel on ne peut diriger les Etats-Unis[48] ne cessera d’imposer sa loi dans la conduite de la politique étrangère américaine, au nom des intérêts économiques. Ce qui pourrait limiter Obama dans ses ambitions à donner une nouvelle image au capitalisme américain[49]. D’un autre côté, le monopole américain de dirigisme mondial est sérieusement entamé (avec le déclin inévitable de l’expansion de la civilisation occidentale) et plus que jamais confronté à la multi polarisation des rapports internationaux relatifs à la montée en puissance des civilisations extra- occidentales, dont la Chine et l’Islam[50].

Il semble donc opportun que les Africains démêlent le reflet multiforme que miroite l’image politique d’Obama. S’il est évident que son incarnation de l’identité noire africaine redonne un souffle nouveau, symboliquement parlant, à la lutte pour l’émancipation effective de l’identité afro- américaine, cela ne devrait pas être considéré comme une fin en soi. Non seulement sa marge de manœuvre pour s’occuper du sort des africains s’annonce déjà fort réduite devant la complexité des questions américaines qu’il est appelé à régler, mais aussi, faut-il noter qu’aux Etats Unis, « le président est un leader démocratique… il ne gouverne pas à sa guise »[51].

Rappelons ici que la représentation des noirs d’Amérique dans les hautes instances politiques américaines n’est pas inaugurée par Obama, et les implications politiques et sociales de la victoire électorale de ce dernier méritent donc d’être relativisées. En effet, comme le font remarquer d’autres analystes par ailleurs[52], « la présence de Colin Powell, rallié à Obama, à la tête des armées US agressant l’Irak, la présence de Condoleeza Rice à la tête de la diplomatie US n’ont guère amélioré le sort des millions de noirs victimes de discrimination et de relégation sociales ». Un peu de la même manière qu’en Afrique du Sud, comme nous l’a fait amicalement remarqué Alphonse MAINDO[53] dans une correspondance en novembre dernier, « Nous avions jubilé en 1994 lors de l'élection de Mandela à la tête de l'Afrique du Sud. 14 ans après, la situation de l'immense majorité des Noirs n'a pas beaucoup évolué. Pire, les Noirs sont devenus eux-mêmes "racistes", plutôt xénophobes. Voir la chasse aux immigrés africains dans ce pays ». Il s’avère donc impérieux que les noirs prennent garde de tomber dans une prétention triomphaliste à la suite de la victoire historique d’Obama à la Maison Blanche dès lors qu’il ne semble pas exclu qu’ils aient encore du chemin à parcourir. On ne libère pas un peuple, il se libère.

Relevons en outre le fait que le plébiscite massif des américains pour un président auquel le commun des mortels s’y attendait le moins il y a peu, renforce le poids des comptes que celui-ci a à rendre à ses électeurs. A coup sûr, la perspicacité stratégique d’Obama à s’affranchir des pesanteurs ethno- culturelles qui pèsent sur son identité afro-américaine (qu’il n’a récusé nullement)[54] a été l’un des facteurs indéniables des soutiens des américains de tout acabit, dans une nation où les noirs ne constituent que 12% environ de la population.

Cela étant, on peut affirmer, sans prétention idéologique, que l’élection d’Obama à la tête de la Maison Blanche ne pourrait en aucune façon être interprétée comme un cadeau à l’identité afro-américaine, moins encore au continent africain. Elle procède d’un choix opéré par les citoyens américains qui ont repéré en l’homme l’incarnation d’un changement tant souhaité, celui de voir redorés les blasons de leur « jalouse » superpuissance, dont le capitalisme monopolistique et le rôle dirigiste mondial sont sérieusement entamés (à la fois au niveau interne et international) ces dernières années. La puissance symbolique de l’identité de l’élu sur le reste du monde (particulièrement l’Afrique et pas exclusivement, car le monde musulman y trouve son compte également) les aidera à quelque chose. Cette symbolisation politique ne sera alors efficace que dans la mesure où elle renforcera les liens socio- politiques et légitimera l’ordre social entre la puissance américaine et le continent africain[55].

Il convient en effet de noter que la représentation symbolique identitaire d’Obama suscite chez certains américains un autre regard sur l’Afrique, celui d’une plus forte emprise sur le continent noir. A en croire Howard WOLPE[56], Directeur du programme Afrique au Woodrow Wilson Center for International Scholars de Washington, « L'accession de M. Obama à la présidence aurait une énorme puissance politique symbolique sur l'ensemble du continent (africain) (…). Le fait qu'un homme d'origine africaine puisse devenir président des États-Unis augmentera considérablement notre ascendant moral et nous permettra, je crois, d'avoir une influence beaucoup plus grande sur les États africains». Et d’ajouter qu’un gouvernement Obama « facilitera énormément la diplomatie nécessaire à la réalisation de progrès sur plusieurs dossiers difficiles », dont la crise humanitaire au Darfour et l'impasse politique au Zimbabwe.

Ces propos dénotent donc de l’intérêt que les américains eux-mêmes attachent au rôle symbolique que jouera certainement l’identité du président élu dans la consolidation de leur puissance vis-à-vis du reste du monde ; la puissance étant considérée ici dans son sens à la fois institutionnel (dotation d’un Etat d’une certaine capacité d’intervention) et interactionniste (aptitude à mobiliser des ressources militaires, diplomatiques ou économiques)[57]. Dans cette hypothèse, de la victoire d’Obama l’Afrique gagnerait l’honneur (satisfaction psycho- morale), l’Amérique la puissance (avec ses répercussions matérielles et immatérielles).

Conclusion

A 48 heures de l’investiture d’Obama comme quarante-quatrième président des Etats-Unis, alors que nous concluons le présent article, une chose paraît évidente : l’élection du premier président afro-américain à la Maison Blanche a rassemblé les africains de divers horizons au-delà de leurs clivages ethnoculturels. Reste à savoir si le génie d’Obama saura transformer ce rassemblement en une union entre les peuples et les Etats en vue d’une Afrique paisible et prospère. Cependant s’il est encore des africains qui espèrent aux changements spectaculaires en faveur du continent noir, au nom de la « fraternité raciale », d’une Amérique d’Obama en quête plus que jamais d’un « espace vital »[58], le risque d’illusions paraît grand.

Certes, comme nous renseigne la littérature politologique sur le caractère aléatoire de l’univers politique, le fait politique est imprévisible. On ne peut le saisir dans son effectivité sans laisser persister quelque marge d’incertitude. Ainsi nous semble-t-il trop oser, voire pessimiste, de nier abruptement l’éventualité de quelques transformations dans les rapports Etats-Unis – Afrique durant la présidence d’Obama en (dé) faveur du continent noir. Dans tous les cas cependant, cela résulterait moins d’un devoir moral pour des considérations identitaires, raciales ou culturelles, à l’égard du Chef de l’Etat, que de la logique des intérêts (matériels et immatériels) dictés à un moment déterminé par le choix politique global de la puissance américaine et des enjeux du moment. Rien de plus logique dans les rapports interétatiques.

Et quand bien même Obama serait mu par les mêmes sentiments « de compassion » pour l’Afrique qui l’ont marqué par ailleurs durant ses années au sénat, aurait-il la marge de manœuvre nécessaire pour assouvir tant d’attentes suscitées en Afrique par sa victoire ? Dans le cas contraire, l’Afrique s’affranchira-t-elle du glissement vers la personnalisation de son pouvoir sans risquer de le désavouer pour cynisme ? Surtout lorsqu’on sait qu’aux Etats-Unis « les fonctions du chef de l’Etat sont institutionnellement définies et naturellement exercées ».

A cet effet, outre le souci de susciter un débat (et c’est là le sens du point d’interrogation contenu dans le titre), le présent article se veut d’apporter un tant soit peu de lueur dans les milieux socio- politiques africains en vue de la compréhension de la destinée du continent noir. Il s’agit de s’arrêter de descendre le fleuve et de remonter la source qui cache le secret de la thérapie du mal africain. Celui-ci ne se résoudra jamais efficacement de l’extérieur, au nom de la solidarité identitaire soit-il, sans transiter par l’indispensable conversion idéo- praxéologique des africains eux-mêmes dans la gestion au quotidien de leur continent.

Faisons remarquer que dans notre approche géopolitique, le déclenchement d’un fait ou d’un comportement a importé plus que sa fréquence. Une recherche quantifiée sur la perception africaine de l’Amérique sous Obama est toujours à encourager si elle peut nous permettre des formulations plus générales. En outre, les effets pervers de cet article pourraient consister dans la conciliation délicate entre l’exigence de l’approche géopolitique, celle de dévoiler les agendas cachés des acteurs, et l’éthique de la recherche scientifique. Comment en fait dévoiler l’intentionnalité non déclarée des acteurs en évitant de blesser les susceptibilités et de rompre l’harmonie sociale ? Surtout lorsqu’on est à la fois sujet et objet de la recherche, la question devient plus complexe. Pourtant, comme le pense avec nous Aymeric CHAUPRADE[59], « dans tous les cas ce dernier temps, il est devenu nécessaire de comprendre pour ne pas subir, mais aussi pour essayer de prévoir » !



[1] Si pour Philippe BRAUD la socialisation politique consiste en un processus d’inculcation des normes et des valeurs qui organisent les perceptions par les agents sociaux du pouvoir politique (dimension verticale) et du groupe (dimension horizontale), la socialisation culturelle fait ici référence, selon nous, au processus d’incorporation progressive du mode de vie, des croyances et valeurs d’une communauté dont on se sens originellement étranger.

[2] Concept cher à Pierre BOURDIEU qui stigmatise la fonction de tenant- lieu en tant que problème de la représentation. Le concept rend compte du fait que, même dans la démocratie pluraliste, il demeure difficilement explicable, selon les purs canons de la logique rationnelle, le fait que l’élu d’une majorité d’électeurs soit considéré comme le représentant de tous les habitants de la circonscription, y compris ceux qui ne l’ont pas voté. Cfr Philippe BRAUD, Sociologie politique, Paris, 8e édition, LGDJ, 2006, pp.507- 510. On retiendra notamment qu’au Grant Park de Chicago, aux premières heures du 5 novembre 2008, M. Obama, s’adressant à une foule des partisans en liesse, s’est engagé à être le président de tous les américains, qu’ils aient voté pour lui ou non. Véritable coup de force symbolique de représentation! Quoi de plus logique dans la démocratie moderne.

[3] Nous qualifions ainsi cette élection pour sa particularité historique. Comment en effet comprendre ce bond fait par les citoyens américains majoritairement blancs en hissant démocratiquement à la haute magistrature du pays un « homme de couleur » issu de la culture afro-américaine non encore moins discriminée!

[4] Raymond QUIVY et Luc Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 2ème édition, 1995, p. 199.

[5] François THUAL, Méthodes de la géopolitique. Apprendre à déchiffrer l’actualité, Paris, Ellipses, 1996, p. 5. Plus tard en 2000, F. Thual renchérira en disant que « la géopolitique ne se distingue de l’histoire que parce qu’elle a pour méthode de mettre en évidence les intentions des groupes politiques et des groupes de pouvoir. En ce sens, elle est une science de la rivalité incessante des intentions et en même temps une science des intentions rivales ». Cfr F. THUAL, Contrôler et contrer. Stratégies géopolitiques, Paris, Ellipses, 2000, p.11.

[6] Lucien FAVRE, « Les méthodes de la géopolitique », cfr. www.nse.com, avril 2006.

[7] Le révérend Martin Luther King Jr est un pasteur baptiste afro-américain né à Atlanta (États-Unis) le 15 janvier 1929. Militant non violent pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis, pour la paix et contre la pauvreté. Il devient le plus jeune lauréat du prix Nobel de la paix en 1964. Assassiné en 1968, Il se voit décerner à titre posthume la Médaille présidentielle de la liberté par Jimmy Carter en 1977, la médaille d'or du Congrès en 2004, et est considéré comme l'un des plus grands orateurs américains[1]. Depuis 1986, le Martin Luther King Day est un jour férié aux États-Unis.

[8] Cfr. Discours célèbre du Révérend Pasteur Martin Luther King prononcé le 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial à Washington durant la marche pour l'emploi et la liberté : « I have a dream » (J'ai un rêve)

[9] Cfr. Panorama. Bulletin d’Information de l’Ambassade des Etats-Unis au Sénégal, Numéro 96, Novembre 2008, p.2

[10] On peut citer, entre autres extraits, ceux qui ont jalonné son discours d’investiture lors du congrès du parti démocrate et durant la compagne présidentielle « I have a dream ! », « nous ne pouvons pas marcher seuls (…) et nous ne pouvons pas revenir en arrière », lesquels ont fait renaître la mémoire du discours historique de Luther King pour les droits civiques et l’égalité du 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial à Washington.

[11] Voir Compte rendu sur les grands enjeux de la campagne électorale aux Etats-Unis, in www.gabrielperi.fr, 26 septembre 2008.

[12] Voir l’extrait « Il n’y a pas l’Amérique des démocrates et celle des républicains, celle des noirs et celle des blancs… il ya une seule et même Amérique ».

[13] Philippe BRAUD, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 2006, p.346

[14] Voir à ce propos « Des Noirs, des Latinos et une Maison Blanche », in http://www.bakchich.info/article4667.html , novembre 2008.

[15] Cfr. « Barack Obama élu président des Etats-Unis : le changement arrive en Amérique », in http://tempsreel.nouvelobs.com/speciales/international

[16] Lire à ce propos le Panorama. Bulletin d’Information de l’Ambassade des Etats-Unis au Sénégal, Numéro 96, Novembre 2008, p.2

[17] Philippe BRAUD, op. cit, p. 349

[18] Lire à ce propos Guillaume PITRON, « Elections américaines. Le cœur avec Obama, la raison avec McCain », in Afrique- Magazine, numéro 277, octobre 2008, p. 15.

[19] Philippe BRAUD, op. cit, p. 346

[20] Jean-Pierre SIRONNEAU, Eschatologie et décadence dans les religions politiques, p.87

[21] Comme m’ont témoigné en novembre dernier quelques étudiantes américaines venues au Sénégal dans le cadre du programme Study abroad, entre autres Hannah Perlman et Erica Halbrook Rome, qui ne semblaient pas comprendre grand-chose des manifestations organisées ci et là à l’occasion de l’élection de Obama. Parties en stage dans le fond des régions du Sénégal (la première à Kaoulac, la deuxième à Kedougou), elles ont été bouleversées par des scènes sous forme théâtrale montées par les citoyens sénégalais locaux en guise de soutien à Obama. « Tous pensent qu’ils iront désormais aux Etats-Unis parce Obama est élu président », m’ont-elles déclarées. A Hannah de s’exclamer : « C’est moi qui devrait faire tout ça parce que Obama c’est mon président ! ».

[22] A en croire KASAYI, un commerçant congolais joint par téléphone le 07 novembre 2008, qui a vécu les moments de l’élection de Obama dans ces trois villes dans le cadre de l’exercice de ses affaires.

[23] Philippe BRAUD, op.cit, p. 346

[24] Notons qu’un cliché d’Obama a circulé sur Internet déjà depuis la campagne des primaires, lui présentant lors d’un voyage au Kenya en 2006 en tenue traditionnelle somalienne, abusivement attachée à la culture musulmane, mais qui n’est propre qu’à la culture du peuple nomade somalien selon Yusuf Garaad Omar (du service somalien de la BCC). Cfr. « Barack Obama victime de la peur de l’Islam ? », in www.afrik.com/article13713.html, 27 février 2008.

[25] Parmi de nombreux musulmans ordinaires avec qui nous avons eu à entretenir sporadiquement dans certains sites à Dakar sur leur perception de la personne d’Obama n’ont pas manqué de nous exprimer leur passion pour l’homme du seul fait de son islamité (supposée ?).

[26] Cfr. « Obama accuse d’être une taupe islamique”, in http://voxfnredekker.canalblog.com/archives/2007/11/30/7075411.html, 30 novembre 2007. Notons que des allégations musulmanes portées contre Obama s’expliquent par plusieurs facteurs : d’une part du fait que son grand-père paternel kényan était musulman (même si son père aurait été athée), d’autre part du fait d’avoir passé son enfance de 6 à 10 ans en Indonésie au près de sa mère (non pratiquante) et de son beau-père (qui lui était musulman).

[27] On a entendu des voix se lever au Kenya, en Tanzanie, au Congo, au Burundi, au Rwanda… qui clamaient « Obama analeleta baraka kwa Afrika », pour ainsi dire « Obama apporte la bénédiction à l’Afrique » !!!

[28] C’est par exemple le journal Afrique- Magazine qui s’est glorifié d’avoir été parmi les rares qui auraient réservés une page spéciale sur Obama lors de son élection aux primaires. Et d’adjoindre fièrement : « et si nous pouvions votés, nous voterions pour Obama pour des raisons suivantes… », avant d’énumérer ces dernières de la manière la plus élogieuse. Cfr. Afrique- Magazine, numéro 277, octobre 2008, p.50

[29] Invoquons ici la Conférence tenue au West African Research Center (WARC) de Dakar à laquelle nous avons participé en date du 3 novembre 2008 sur le thème : « Le processus électoral et les échéances électorales aux Etats-Unis : quelles perspectives pour l’Afrique ? ». Alors qu’au début la tentation de tomber dans une approche apologique des Etats-Unis et d’Obama était trop grande, la crème intellectuelle participante a su s’affranchir du risque de glissement vers le subjectivisme grâce à la perspicacité des orateurs qui ont su restaurer la rupture épistémologique, non sans peine.

[30] Cfr « Fière d’Obama, l’Afrique croit pourtant peu aux changements avec l’Amérique ». www.izf.net, novembre 2008.

[31] Ibidem

[33] Autant que le message de félicitation à Obama du président kényan Moi Kibaki, il y a aussi le communiqué conjoint de félicitation signé à Abidjan par les présidents du Bénin, de la Côte d’Ivoire, et du Togo, le 11 novembre 2008, dans lequel ils souhaitent vivement que la nouvelle administration américaine accorde beaucoup plus d’intérêt aux questions liées à la promotion d’une paix et d’un développement durables en Afrique.

[34] www.apanews.net , novembre 2008.

[35] Jean de