dimanche 15 février 2009

Plusieurs facteurs expliquent l'ascension de Barak Obama à la tête des Etats Unis

Bonsoir jeune frère,
Heureux de te lire. Ton article retrace des analyses hautement économistes et ça m'instruit davantage sur ce champ que je maîtrise seulement peu. Elles valent tout leur pesant d'or et tes observations sur mon article me semblent partiellement fondées. Il convient cependant d'éclaircir certaines zones d'ombre.
Je te joins encore avec l'article pour t'en refixer certaines précisions et dissiper certaines de tes craintes, voir du risque d'en caricaturer le contenu. Il faudra prendre un peu de temps pour relire surtout le troisième chapitre, avec les notes de bas de page. Surtout les pages 16 et 17, et la référence infrapaginale numéro 45.
L'article ne s'est pas assigné la prétention d'étayer exhaustivement les facteurs qui ont concouru à la victoire d'Obama, qui sont du reste multiples et multidimensionnels. Au-delà des enjeux identitaires, il y a notamment la brutalité et les tares de mégestion qui ont pesé de tout leur poids sur le gouvernement Bush ayant mis une tache indélébile de sang sur les "républicains" et qui ont finalement constitué une ressource politique aux démocrates, sans oublier la stratégie de campagne menée par Obama jamais vécue aux Etats-Unis, les soutiens non-déclarés des lobbies américains qui y ont adjoint une bonne dose de soubassement économique, l'arme médiatique qui a finalement conduit à une "starisation politique" du candidat Obama, etc. Le facteur religieux n'a pas été laissé pour compte.
Mais revisitez bien l'article et vous vous rendrez compte de sa circonscription épistémologique, qui se trouve confinée dans la problématique et la méthodologie y afférentes: sans méconnaître toute cette panoplie de facteurs, nous nous sommes assigné pour finalité n'analyser comment le facteur identitaire a pesé sur voire brouillé le jeu démocratique aux Etats-Unis, comment il a reconfiguré l'imaginaire sociopolitique africain dans l'enthousiasme (de)mesuré que son élection a suscité en Afrique, pour en dévoiler les soubassements etho-culturels, idéologico-civilisationnels et stratégiques. Rechercher les intentions qui ont sous-tendu les soutiens africains à Obama et circonscrire l'intentionnalité, telle était la finalité de notre modeste étude.
Affirmer le facteur identitaire comme ayant été le seul déterminant dans l'élection d'Obama, Ah non! cela constituerait une monstruosité et une haute trahison de la nouvelle génération des spécialistes de la géopolitique à laquelle nous sommes fier d'appartenir, et une approche caricaturale de l'analyse géopolitique qui s'insurge en faux justement contre le piège de la monocausalité et de la pensée unique pour rechercher constamment la multicausalité des faits politiques. Pour ainsi soutenir la thèse selon laquelle sans les soutiens d'autres communautés raciales américaines, Obama ne pouvait oser remporter une victoire aussi éclatante, les noirs n'étant que 12% environ de la population américaine.
Tes analyses économistes sont toutefois fondées et rejoignent l'un des multiples facteurs que j'ai identifié dans la victoire d'Obama, et je crois que nous sommes tout à fait d'accord à propos.
Cordialement,

Guilain Mathe M.

Chercheur- Politologue

Crise financière


Fasozine

Crise financière : Comprendre les causes et prévoir les conséquences

mercredi 22 octobre 2008.

Depuis un certain temps, on ne parle que de la crise financière avec ses conséquences désastreuses pour les sociétés cotées en bourse et les grandes banques internationales. Mais pour dire vrai, peu sont nos lecteurs qui comprennent les fondements de cette crise, ses causes et surtout leurs prévisibles conséquences. C’est ce que nous explique, à travers cette tribune, Taladidia Thiombiano, professeur émérite d’Economie à l’université de Ouagadougou.

Il y a quelques jours, le monde entier semblait être surpris de l’annonce d’une grave crise financière dont les conséquences pourraient être aussi désastreuses que celle de 1929.

En réalité, le processus couvait depuis fort longtemps et l’éclatement de la bulle ces jours-ci n’est que l’effet du trop plein de cette bulle. Il faut se rappeler que depuis deux décennies, le cours de la finance internationale n’est qu’une succession de crises dont les principales sont : 1987, krach boursier ; 1990, crise immobilière aux Etats-Unis, en Europe et au Japon ; 1994, crise obligataire américaine ; 1997-1998, crise financière internationale ; 2000-2002, krach internet ; 2007-2008, crise immobilière ; 2008-2009, crise financière et tendance vers une crise économie internationale.

Au regard de ces crises répétitives, on peut dire qu’il y avait des signes annonciateurs d’une crise mondiale beaucoup plus grave que celles précédentes. En dépit de tout, les politiques économiques ont continué à se fonder sur les théories néolibérales et monétaristes de Milton Friedman, prix Nobel d’Economie.

Les fondements de Friedman, outre qu’ils privilégient la monnaie comme dynamique économique, ils recommandent la non-intervention de l’Etat dans la régulation de la masse monétaire. C’est donc, le « laisser-faire, laisser-aller ». Tel est situé le contexte scientifique dans lequel a évolué le système financier international et de façon générale, l’économie mondiale depuis une trentaine d’années.

Dans cet article, nous examinerons : (1) les fondements de la crise, (2) les mesures d’urgence et leur efficacité, (3) les prolongements de la crise

1- Les fondements de la crise financière actuelle

La crise financière actuelle, que d’aucuns commencent à qualifier déjà de la plus grave depuis celle de 1929, est le résultat d’un processus cumulatif de facteurs.

1.1.Les causes théoriques

a) Pour l’économiste américain Milton Friedman, rien dans le système économique n’a autant d’importance que la quantité de monnaie. Partant de là, il estime que la régulation de la masse monétaire ne doit pas être abandonnée au jugement des autorités de l’institut central d’émission, comprenez par là, de la banque centrale – malgré toute leur bonne volonté, dit-il, ces personnages ne parviendront jamais à adapter exactement la masse monétaire aux nécessités du moment.

Il affirme que de cette façon, la masse monétaire s’adaptera au besoin d’augmentation des salaires, des stocks et prêts d’une part ; et d’autre part, la régularité de son augmentation permettra de maintenir l’économie dans la voie de la croissance. Tel est, en substance, ce que préconise le prix Nobel d’économie, bien écouté du Parti Républicain aux USA. On est en plein cœur d’un libéralisme guidé par les politiques monétaires avec la bénédiction du marché. L’Etat n’a aucun rôle à jouer.

b) La seconde cause qui découle bien entendu de la première est les subprimes ou les prêts immobiliers qui ont été accordés de façon inconsidérée aux Etats-Unis par les banques. Comment en est-on arrivé à la construction d’un système aussi incertain ou pour parler comme le Secrétaire au Trésor américain de « risque systémique ». Motivés par les profits, les organismes de crédits hypothécaires ont prêté à un secteur de la population déjà fortement endetté.

Il faut cependant retenir que les conditions de ces prêts à haut rendement (pour les banques) constituent une véritable arnaque comme le soulignent Millet D. et Toussaint D. (30 mars 2008). En fait, le taux est fixe et raisonnable au cours des deux premières années ; puis, augmente fortement ensuite. Par ailleurs, les institutions financières (prêteurs) affirmaient aux emprunteurs que le bien qu’ils achetaient, gagnerait rapidement de la valeur au regard de l’augmentation de son prix.

Le résultat, c’est que la bulle du secteur a fini par exploser en 2007, et les prix ont commencé à baisser. Attendu que le nombre d’incapacités de paiement s’est substantiellement accru, les institutions de crédits hypothécaires (1) se sont retrouvées dans des difficultés de remboursement de leurs dettes. Il faut rappeler que les deux principales banques en faillite au début de la crise ont une longue histoire. En effet, la Fannie Mae, créée en 1968, d’origine publique, avait pour objectif, lorsque la décision fut prise de la coter en bourse, de financer la guerre du Vietnam. En 1980, est créée la Freddie Mac qui est venue compléter le rôle de la première.

L’objectif de ces deux banques était d’assurer la transparence du marché immobilier en garantissant les prêts immobiliers ou en les rachetant aux banques. Ainsi que le rapporte le journal Le Monde Diplomatique, en 1990, les deux institutions détenaient 740 milliards de dollars de crédit.

Dans les prévisions, ce chiffre devait atteindre 1250 milliards de dollars en 1995 et dépasser 2000 milliards de dollars en 2005. A la veille de leur nationalisation récente, leur portefeuille était de 5 400 milliards de dollars soit 45% de l’encours total du crédit immobilier aux Etats-Unis.

Dans le même temps, les deux sociétés soutenaient 97% des titres adossés à des prêts hypothécaires. Avec le soutien d’Alain Greenspan, ancien directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui affirmait en 2004 qu’« une baisse sévère du marché immobilier était peu probable aux Etats-Unis… ». cet enthousiasme et ces déclarations ont soutenu l’investissement dans les actions et obligations des deux banques qui connurent un âge d’or sans précédent.

Mais cette croissance était déjà entachée de nombreuses irrégularités et fraudes qui ont conduit dans les années 2004-2006 à la condamnation de chacune d’elles à des amendes. En réalité, d’un rôle qui devait permettre au plus grand nombre d’américains d’avoir accès à la propriété immobilière, les deux géants ont plutôt cherché à maximiser les revenus de leurs actionnaires et principalement de leurs dirigeants. A titre d’exemple, rapporte Le Monde, le salaire de chacun des patrons de ces deux banques était de 70 millions de dollars par an.

Elles étaient devenues tellement puissantes qu’elles influaient sur les décisions du Congrès en matière réglementaire. C’est dans ce contexte que les deux banques ont accumulé les dettes, et les « marchés » constatèrent la « catastrophe » : d’où la crise. En effet, en 12 mois, les deux sociétés avaient accumulé des pertes de 14 milliards de dollars et dans le même temps leurs actions avaient perdu plus de 90% de leur valeur. Elles devaient rembourser une dette de 1600 milliards de dollars dont 230 milliards venaient à échéance fin septembre.

Les grandes banques, par souci de protection, ont refusé de leur octroyer de nouveaux crédits ou tout simplement ont préconisé le relèvement des taux d’intérêt. Il y a eu d’autres opérations plus complexes dans le même secteur immobilier qui ont fini par saper l’ensemble du système financier américain.

(1) Les prêts hypothécaires aux Etats-Unis remontent aux New Deal. Ce dernier, lui-même, était un programme de relance de l’économie après la crise de 1929.

C’est dans ce contexte que le Trésor américain est intervenu, début septembre, pour leur injecter 200 milliards de dollars. Ce fut les premières nationalisations qui ont fait dire au sénateur républicain du Kentucky, Jim Bunning, dans son interpellation du Secrétaire au Trésor, ceci : « Quand j’ai ouvert mon journal hier, j’ai cru que je m’étais réveillé en France. Mais non, il s’avère que le socialisme règne en maître en Amérique ».

c) La troisième cause est la hausse du prix du pétrole qui a renchéri les coûts de production des entreprises industrielles, entraînant une baisse de compétitivité ; l’augmentation des prix ; une baisse de la consommation des biens durables des ménages ; une « chute libre » de l’investissement résiduel et l’accumulation de stocks invendus par les entreprises. Toutes choses qui ont réduit la croissance économique du pays. Inexorablement, on s’est acheminé vers une réduction des emplois. On sait que depuis 2001, environ 30% de l’augmentation des emplois aux Etats-Unis est liée à l’immobilier (cf. AFP du 23/08/08 : les USA : l’ampleur du ralentissement immobilier commence à devenir inquiétante et également USA : le ralentissement immobilier risque de déteindre sur toute l’économie ; AFP du 24/08/08).

d) Le renforcement des oligopoles et monopoles au détriment de la concurrence.

e) La forte concentration mondiale des fortunes entre les mains d’une minorité.

f) Le développement de la spéculation financière qui a pris une ampleur sans précédent dans l’histoire du système capitaliste mondial, favorisé par un système libéral sans gouvernail.

1.2. Les causes militaro-financières

Dans son discours d’adieu du 17 janvier 1961, le président (et ancien général) Dwight Eisenhower avertit les américains que le lobby militaro-industriel pourrait faire planer un jour une menace sur la liberté et la démocratie. Il disait en substance : « La présence simultanée d’un énorme secteur militaire et d’une vaste industrie de l’armement est un fait nouveau dans notre histoire. Cette combinaison de facteurs a des répercussions d’ordre politique, économique et même spirituel, perceptibles dans chacune de nos villes, dans les chambres législatives de chacun des Etats qui constituent notre pays, dans chaque bureau de l’administration fédérale.

Certes, cette évolution répond à un besoin impérieux. Mais nous nous devons de comprendre ce qu’elle implique, car ses conséquences sont graves. Notre travail, nos ressources, nos moyens d’existence sont en jeu, et jusqu’à la structure même de notre société.

Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant.

Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. Nous devons nous garder contre le risque de considérer que tout va bien parce que c’est dans la nature même des choses.

Seul un ensemble uni de citoyens vigilants et conscients réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble ».

- De façon concrète, cela s’est traduit au début de ce 21e siècle par un excès de financement des guerres contre le terrorisme (Irak, Afghanistan, etc.). Le déficit budgétaire des USA en 2003 était de 455 milliards de dollars. L’occupation de l’Irak coûte aux contribuables américains, 1 milliard de dollars par semaine. En extrapolant, nous avons 52 milliards de dollars par an, soit 260 milliards de dollars durant les cinq premières années de la guerre.

- A l’actif de ces lobbys militaro-financiers, il faut noter les boucliers antimissiles en Europe, et dont les experts en la matière s’accordent à reconnaître le coût très élevé de l’opération. Il en est résulté comme solde de tout compte, des conséquences désastreuses sur l’économie mondiale et le développement de dizaines de nations démunies de tout instrument de protection et de réplique.

2- Les mesures d’urgence et leurs efficacités

Il est aujourd’hui difficile de prévoir toute l’ampleur de cette crise financière sur l’ensemble du système économique international. Les mesures d’urgence actuelles semblent dans les premiers jours avoir redonné confiance aux marchés et aux agents économiques. Toutefois, on peut se poser la question : pour combien de temps ?

Quoi qu’il en soit, il est certain que ces mesures relatives aux rachats des titres des banques par l’Etat ou à la nationalisation de certaines institutions financières n’arrêteront pas les incertitudes ou les risques systémiques. Le problème fondamental étant qu’il s’agit d’une crise structurelle du système capitaliste et non comme les crises précédentes (dont nous en avons parlé) de crise conjoncturelle.

Dans la situation actuelle, seule une approche systémique ou multidimensionnelle permettra de comprendre les différents contours de ce problème. Pour ce faire, essayons de dégager les principales raisons des difficultés de la réussite de ces nationalisations précipitées :

2.1. Raisons des difficultés pour l’impact des mesures d’urgence

De nombreuses raisons expliquent l’inadaptation, voire l’inefficacité des mesures d’urgence actuelles. Parmi celles-ci, il y a :

a) L’injection de quantité de monnaie au système financier et la baisse probable des taux d’intérêts pour relancer la dynamique économique. De telles mesures peuvent accélérer les tensions inflationnistes déjà manifestes tout au long de l’année 2008 ;

b) les fluctuations assez fortes du prix du baril de pétrole et les incertitudes quant à l’évolution des cours peuvent faire échouer ce programme de renflouement des caisses. La conséquence sera l’augmentation des coûts de production ;

c) l’existence d’un fort taux de chômage dû aux chocs successifs précédents qui exclut de nombreux ménages de la consommation ;

d) l’inadaptation du système monétaire international actuel. C’est un système qui ne correspond plus aux réalités d’après guerre avec le leadership américain. Aujourd’hui, il y a de nouvelles puissances économiques : Japon, Chine, Inde, Russie, sans oublier l’Union européenne. Le dollar ne peut plus continuer à être la monnaie de réserve ou de paiement du monde ; e) le trop grand endettement des Etats-Unis vis-à-vis des pays comme la Chine, et de façon générale, du reste du monde ;

f) les incertitudes à court terme du candidat qui sera élu comme président des USA. Etant entendu que si c’est le républicain McCain qui arrive au pouvoir, il poursuivra la même politique militaro-financière de son prédécesseur. Dans tous les cas, la situation présente ne projette pas des thérapeutiques capables de lever les inquiétudes au niveau mondial. Depuis des années, le système néolibéral est à bout de souffle et les remèdes actuels ne sont que des palliatifs qui ne peuvent pas guérir le mal.

2.2. Evolution de la situation aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, 84 sociétés de crédits hypothécaires ont fait faillite ou cessé leur activité entre janvier et le 17 août 2007, contre seulement 17 sur toute l’année 2006. La Carlyse Capital Corporation (CCC), très proche de la famille Bush, s’est effondrée et ses dettes représentent 32 fois ses fonds propres. Tous ces faits sont rapportés par le Journal « Le Grand Soir », journal militant d’information alternative.

Selon l’économiste en chef de Morgan Stanley, ce serait une « grave » erreur d’anticiper un taux de croissance mondiale de 4,8% pour les trois prochaines années. Poursuivant son analyse, il estime que le principal moteur de la croissance mondiale, les Etats-Unis, est au ralenti. Il note que le marché de l’emploi est en baisse de 35% au cours des quatre derniers mois par rapport à la moyenne depuis 2004.

Dans l’immobilier, la chute dans la construction a déjà englouti 1% de la croissance du PIB au cours des trois dernières années. Ces faillites en cascade et ce chômage vont avoir des répercussions sur le reste de l’économie internationale, car, en fait, la croissance mondiale n’était qu’un mirage en ce sens qu’au cours des quatre dernières années, elle n’a jamais été soutenue.

C’était le résultat de l’excès de cycle de liquidité, dû à des mesures d’urgence anti-inflationnistes prises par les grandes banques centrales du monde. Finalement, la croissance qui s’en est suivie a été le fait d’une domination de la demande de consommation des américains.

2.3. Les répercussions dans les autres pays développés et émergents

Pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle sur le reste du monde, il faut savoir que l’économie mondiale reste fortement et de plus en plus dépendante des dépenses de consommation comme source de la demande finale. Dans la zone euro, le taux de croissance au départ estimé à 2,5% pourrait ne pas dépasser 1,5% sinon être négatif de l’ordre de 0,5%.

Les analystes pensent que l’économie japonaise, quelle que soit sa force, ne pourra combler le gouffre laissé par les Américains. Il est à penser que le taux de croissance du pays qui, au départ était envisagé comme positif, pourrait lui aussi connaître une croissance négative en 2008 et 2009.

Malgré l’optimisme qui règne à l’heure actuelle en Europe, la crise financière pourra avoir des conséquences plus désastreuses qu’aux Etats Unis et de façon plus prolongée, car il s’agit d’effets rampants (contagion lente mais certaine). Le Dow Jones a enregistré depuis 75 ans sa plus grande perte soit 18% durant la semaine du 6 au 12 octobre 2008.

Qu’adviendrait-il de la Chine et du Japon ?

Au cours des dix dernières années, le taux de croissance économique asiatique a été plus élevé que celui des USA, mais la part des exportations de la région vers les USA est restée identique. En d’autres termes, les économies de la zone asiatique sont devenues plus dépendantes de la demande des consommateurs américains. Donc, elles ne pourront parer à la crise, au contraire elles en seraient profondément affectées.

L’ampleur de cette dépendance est indiquée par les données des exportations. En 2005, 32% des exportations de marchandises de la Chine sont allées aux Etats-Unis ainsi que 23% de celles du Japon et 20% de celles des 10 pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Selon Fabio lo Verso dans Le Courrier du 22 janvier 2008, www.lecourrier.ch.

« Pékin a uni son destin à Washington, en alignant le yuan au dollar. L’Etat communiste détient en outre dans ses réserves quelque 1200 milliards de dollars en forme de bons du Trésor américain. Il finance, de ce fait, la consommation américaine ». En un mot, les deux puissances forment une même zone économico-monétaire. Si l’un se noie, l’autre suivra.

De façon spécifique, il faut savoir que la Chine est engagée à hauteur de 395,9 milliards dans Fannie Mae et Feddie Mac, le Japon pour 228,2 milliards de dollars, la Russie, pour 75,3 milliards de dollars, la Corée du Sud, pour 63 milliards de dollars, Taïwan, pour 54,9 milliards de dollars, rapporte le Journal français « Le Monde Diplomatique » octobre 2008.

On comprend pourquoi la crise du « lundi noir 2008 » risque d’être plus grave que celle du « jeudi noir 1929 », compte tenu de ce qui est appelé depuis plus d’une décennie, la globalisation. Pour s’en convaincre, prenons quelques dépêches d’agence, notamment l’AFP. Selon cette Agence d’information, Général Motors envisage de vendre son siège de Détroit.

La Bank of America, qui est la première banque américaine, a vu la valeur de ses titres chuter de 26,23% ; le Nasdaq, à dominance technologique, a perdu 100,08 points dans la journée du 07/08/08. Cette crise n’a pas épargné les bourses du Moyen Orient, notamment l’Arabie Saoudite qui a clôturé avec une baisse de 7% et l’Egypte de 16,47% le même jour.

Les mesures de renflouement actuelles à coups de milliards de dollars ou d’euros seront-elles suffisantes pour ramener le système sur sa trajectoire de croissance de long terme ? La reprise actuelle des valeurs boursières ne suffit pas à être optimiste, car il s’agit d’un simple plan de secours pour éviter un naufrage collectif du système financier international. Il y aura des séquelles et c’est ce que nous allons examiner maintenant.

3- Les prolongements de la crise financière

Les incidences à moyen et long terme de cette crise financière seront à la fois d’ordre économique, social et politique. Nous examinerons les deux premiers seulement en laissant le soin aux politologues de tirer les conséquences politiques.

3.1. Incidences économiques

Au plan économique, les mesures actuelles ont eu pour conséquence d’éviter la propagation, le prolongement de la crise financière au marché boursier où sont cotés les titres des principales sociétés industrielles et technologiques. Ce qui donne un nouveau souffle pour différer les effets économiques. Mais, il faut se souvenir que le système économique lui-même est en crise depuis quelques années et la plupart des pays de l’OCDE revoient chaque année à la baisse les prévisions optimistes des taux de croissance du PIB. Cette année, ce taux se situerait aux environs de 1,2 à 1,4%.

Quoi qu’il soit, en théorie, et disons même en pratique, une crise financière est souvent suivie d’une crise économique. Cela est expliqué en partie par des motifs psychologiques et de précaution à la fois de la part des ménages pour la consommation et des entrepreneurs pour l’investissement.

Dans la situation présente, l’excès de liquidité sur le marché financier et la baisse probable des taux d’intérêts pour rendre le crédit plus facile en vue de relancer l’investissement et la consommation peuvent accélérer les tensions inflationnistes. Au plan fiscal, la plupart des pays ont des problèmes budgétaires et les mesures actuelles peuvent aggraver ces déficits.

Le contexte actuel favorise la propension aux monopoles, suite aux faillites de certaines sociétés et au rachat par celles qui ont pu résister à la tempête. Au plan du commerce international, il y aura probablement une baisse de la demande de matières premières. Une telle situation pourrait ruiner les plans de développement de nombreux pays africains déjà fortement dépendants de l’aide internationale.

Enfin, on pourra noter d’éventuelles baisses de taux horaire de salaire, ce qui serait en contradiction avec le souci de l’Etat d’amener les ménages à consommer plus à travers la baisse des taux d’intérêt.

3.2. Incidences sociales

La socialisation des pertes et la privatisation des profits par les lobbys militaro-industrialo-financiers montre à quel point les responsables politiques des pays développés se soucient très peu de l’avenir de leurs concitoyens. En effet, il résulterait des conséquences économiques précédentes, une baisse du niveau d’emploi, un fort taux de chômage (nombreux licenciements). Devant le souci de l’Etat de vouloir sauver de nombreuses sociétés financières et industrielles, il n’est pas exclu que des secteurs sociaux entiers soient abandonnés ou voient la part budgétaire qui leur était consacrée diminuer (santé, éducation, aide aux personnes démunies, etc.).

Déjà, la nationalisation de plusieurs banques avec des fonds publics constitue un coût pour la société et singulièrement pour les agents économiques les plus pauvres. A titre d’exemple, le renflouement de la banque franco-belge DIXIA coûte 100 euros par Français. L’injection de 360 milliards d’euros par la France sera un lourd fardeau pour les pauvres. C’est pourquoi certains ont pu dire qu’il s’agit pour le capital de « privatiser plus les profits et de socialiser les dettes ». Historiquement, on sait aussi que le capitalisme, c’est la guerre pour la conquête de plus d’espace pour son expansion.

Du fait de l’existence au pouvoir dans certains pays occidentaux de coalitions militaro-industrialo- financiers, il n’est pas exclu qu’il y ait des tendances guerrières comme en 1929, afin d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs économies dans le but de refaire un nouveau partage du monde. Toutefois, ce scénario est réalisable, mais peu probable, car il peut conduire à la destruction du monde compte tenu des potentiels militaires en présence.

La plus grande probabilité, c’est des conflits localisés genre Irak, Afghanistan, etc. La relance de l’industrie de l’armement pourrait être une source de relance des économies en faillite. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que ces militaro-industriels élargissent le champ des « nouveaux Etats voyous » ou l’« axe du mal » (Iran, Venezuela, etc.) pour justifier leurs interventions.

Enfin, cette crise sera rejetée sur les immigrés qui verront leurs conditions de vie devenir plus précaires avec un accroissement du nombre de charters remplis d’Africains, à destination de leur pays.

Conclusion

Dans le contexte actuel, il y a deux problèmes : les mesures d’urgence qui sont celles prises à l’heure actuelle pour redonner une confiance aux épargnants afin qu’ils ne se bousculent pas aux portes des banques pour retirer leur argent, ce qui va accélérer la crise financière avec des faillites en cascades ; et les mesures de long terme qui reposent sur une réforme fondamentale du système monétaire international qui prendra en compte les nouvelles monnaies fortes autres que le dollar, à savoir l’euro, le yen japonais et le yuan chinois.

Par ailleurs, toute une réflexion doit être faite en ce qui concerne la croissance fondée sur le libéralisme total avec comme support la monnaie (l’offre) telle qu’elle a été menée au cours des trente dernières années et le retour au keynésianisme basé sur un capitalisme ponctué par l’intervention de l’Etat, en d’autres termes, une « économie mixte ».

Nous ne pouvons terminer cet article sans nous interroger sur deux questions théoriques : que deviennent les théories des cycles et notamment le cycle long de 50 ans, le Kondratiev ? Logiquement, la crise aurait dû se produire en 1979 et éventuellement avec une probabilité en ± 10% soit en 1974 ou en 1984. Or, elle s’est produite 29 ans plus tard soit une erreur de 58%. La seconde question qui est pendante à la première est : quelle a été l’influence de la théorie quantitative de la monnaie dans ce retard de la crise ? Bien sûr nous n’avons pas de réponse, c’est une invite des économistes à la réflexion. En résumé, la crise financière actuelle, même si momentanément elle est jugulée, aura des conséquences certaines à moyen terme sur les tendances d’évolution de l’économie mondiale.

Au regard des interactions dont nous avons parlé plus haut, quoi qu’il en soit, à court terme, les incertitudes vont se poursuivre en attendant le nouveau locataire de la « Maison Blanche » aux Etats-Unis. Il faut savoir aussi que la crise ne se résoudra pas par de simples injections financières, mais par la découverte de nouvelles théories économiques, conduisant à de nouvelles politiques économiques. Nous analyserons les conséquences sur les économies africaines et notamment celles au sud du Sahara dans le prochain numéro.

Par Taladidia Thiombiano, Professeur d’Economie, Université de Ouagadougou

L’Observateur Paalga

Cohabitation bantous-pygmées dans le territoire de Bikoro

LA COHABITATION BANTOUS-PYGMEES DANS LE TERRITOIRE DE BIKORO

INTRODUCTION

La République Démocratique du Congo avec une superficie de 2.345.000 km, regorge en son sein un nombre important des groupes sociaux. Bien qu’officiellement tous les citoyens qui s’y trouvent dans ce pays sont libres et égaux devant la loi, dans la réalité de tous les jours les choses ne se passent pas toujours ainsi. Il y a des citoyens issus des peuples qui se considèrent comme ayant obtenu du ciel le droit de commander sur les autres.

Devant cette attitude de domination d’un groupe sur un autre, il y a généralement deux types de réaction. Soit le groupe qu’on cherche à dominer n’accepte pas qu’il soit assujetti et monte des mécanismes d’autodéfense. Ces mécanismes peuvent s’avérer efficace ou non. La seconde attitude est celle de l’acceptation, c’est-à-dire le groupe qu’on veut dominer, accepte cette domination pour des raisons qui lui sont propres.

Le Territoire de Bikoro qui est l’un des territoires que compte la République Démocratique du Congo, connaît des problèmes de leadership et d’hégémonie entre peuples, entre sous groupes ethniques. Dans le cadre de ces écrits, nos analyses ne portent pas sur tous les problèmes qui se passent entre les peuples du territoire de Bikoro, mais bien entendu sur la violence qu’on y observe dans la cohabitation bantous-pygmées.

Notons que les bantous et pygmées qui se trouvent dans le territoire de Bikoro se reconnaissent comme étant les citoyens de la République Démocratique du Congo et habitant d’un même territoire. Toutefois, au-delà des lois, il existe d’autres réalités qui expliqueraient le comportement qu’on y observe entre les filles et fils de ce territoire.

Avant d’entrer dans le vif de notre sujet il nous paraît impérieux de présenter le territoire de Bikoro qui abrite les bantous et les pygmées qui nous intéresse dans le cadre de cette étude.

I. PRESENTATION DU TERRITOIRE DE BIKORO ET EXPLICATION SUR L’ORIGINE DE LA VASSALITE « TWA »

D’une superficie de 13.842, KATAMU EPUNDA ([1]) ; précise que le Territoire de Bikoro est borné au Nord-Est par les Nkundo (Ngel’ea Ntando) ; au Sud par les Bolia, à l’Est par les Ekonda et à l’Ouest par les Mpama et les Sakanyi.

Situé en République Démocratique du Congo, le Territoire de Bikoro se retrouve dans la Province de l’Equateur et dans le District de l’Equateur. Ce territoire « fut crée en 1947 par Arrêté du Régent du 1er juillet 1947 sur l’organisation administratives de la colonie, et agrandie en majeure partie de l’ancien territoire de Coquilhatville par ordonnance 21/399 du 29 septembre 1958. ([2])

L’économie du territoire de Bikoro repose presqu’essentiellement sur l’agriculture, la pêche, l’élevage, la chasse, le petit commerce et la cueillette.

Notons que le Territoire de Bikoro est divisé en deux grands castes : il y a d’un côté, les bantous (Baoto) et de l’autre les pygmées (Batwa), moins nombreux que les premiers. Notre contrée d’étude, est composée de trois groupes bantous : les NTOMBA, les EKONDA et les NKUNDO.

D’après la tradition orale et selon EVERBOECK ([3]), les trois tribus précitées sont les descendants de NSONGO et de LIANZA. Lors de la migration qui s’étendit de la dernière moitié du 18e siècle à la première moitié du 19e siècle, BONGO et MPUTELA, petits-fils du couple précité et leur famille suivirent l’itinéraire de la Province-Orientale jusqu’à celle de l’Equateur.

Après avoir traversé les rivières de Lopori, Maringa, Tshwapa et Momboyo, la famille MPUTELA s’installe dans le territoire qu’elle occupe actuellement (EKONDA). Une partie de la population lancée à la conquête de la forêt équatoriale sous la direction de Ntomb’okolo, occupa la région du lac, ce qui explique probablement l’appellation du lac Ntomba ([4])

Quant aux Nkundo, ils ont dû occuper leur habitat actuel après l’épisode historique connue sous le nom de « Etumba y’Ikenge » ou Etumba e Nkulongo » qui rappelle leur conflit avec les Ekonda ([5])

La langue des Ekonda, faut-il le signaler, c’est le lokonda .D’ après le Rév. Père ROMBAUTS ([6]) bokonda signifierait vaste terre, terrain de forêt. L’appellation Ekonda tirerait probablement son origine à partir de bokonda. Ce peuple est celui de forêt, de terre ferme et présenté génériquement comme agriculteurs malgré la pratique de la pêche à petite échelle. Numériquement, c’est le groupe le plus important de la contrée.

Les Ntomba parlent le lontomba. « Ce qui présente l’intérêt principal de la langue Ntomba c’est que le peuple qui la parle a été placé, lors des grandes migrations, à l’avant-garde de l’imposant groupe ethnique Mongo et qu’il s’est trouvé, de ce fait, en contact direct avec les peuples des groupes voisins.

Les Nkundo de Bikoro appelés également les ELANGA sont divisés en deux groupes : il y a les Inzolo pêcheurs et les Bafidji agriculteurs ([7]). Ils parlent lonkundo. Les Nkundo constituent le groupe le moins peuplé du Territoire de Bikoro. Et contrairement aux NTOMBA et aux EKONDA qui occupent respectivement 5.507 km2 et 3.845 km2, les NKUNDO en occupant que 3.198 km2 ([8])

S’agissant des pygmées (Batwa), moins nombreux dans le Territoire de Bikoro que les bantous (Baoto), il y a lieu de signaler qu’ils sont distincts des nègres non seulement par l’aspect physique mais aussi par leurs modes de vie et leurs civilisations » ([9])

D’après R.P.WOUTERS, les ancêtres de Batoa viennent de Bayo. Ils traversent d’abord le fleuve Ubangi, puis le fleuve Congo à Bandaka Ils prirent pied à Tshabake (actuel Boyela) au sud de Bandaka ([10])

Les Batwa du Territoire de Bikoro sont au même titre que les Batwa du Kivu et du Kasaï , ils appartiennent aux pygmoïdes. Leur taille moyenne est inférieure à celle des Nègres bantous mais supérieure à celle des pygmées. ([11])

Abordant presque dans le même sens, ELSHOUT écrit : « la population Batwa serait un groupe pygmée qui a absorbé des éléments nègres, un produit de métissage qui ne peut plus être considéré comme une population pygmée pure » ([12])

En effet, il faut noter que les Batwa sont considérés comme les premiers occupants de l’actuel Territoire de Bikoro. A ce sujet ELSHOUT précise que « cette prétention à la qualité de « premier occupant »doit s’étendre plutôt dans le sens de « ceux qui ont vu pour la première fois « les terres en question. Les Batwa étaient les envoyés des Baoto à la recherche des terrains et des forêts ([13])

D’après ELSHOUT, « la corrélation linguistique des variantes du radical twa ; tswa, tshwa, toa, tua, twe, twah, thwa, kwa, ka, Rao, Rwa, Sanua, wana, e.a, préfixes de la classe grammaticale relative aux personnes, pour désigner une même espèce d’hommes, fait incliner les spécialistes à supposer l’existence d’une signification première. Le sens profond en serait « nain », « petit », « court », et par extension « inférieur », « esclave », « banni », « rejeté », « vaincu », pour en dégager finalement « barbares », « étrangers » ([14])

Contrairement à EVERBOECK qui considère que les twa forment une race à part ([15]), certains spécialistes prétendent pourtant que les Batwa puisque n’ayant pas de langue propre, ne forment pas une race à part ([16])

Si les groupes bantous ont chacun un site géographiquement bien identifié, il n’en est pas le cas pour les Batwa. Ceux-ci n’ont pas un territoire fixe. On les trouve tant chez les NTOMBA, les EKONDA que chez les NKUNDO. Toutefois, Lokuku et Iyanda restent les plus grandes localités des pygmées. ([17])

D’excellents danseurs, remarquables archers et doués de pouvoirs magiques, leurs habitudes ont peu changé ; vivant de la chasse et de la cueillette, ce sont des nomades qui changent régulièrement de campements ([18]) à la recherche d’une situation beaucoup plus confortable. Ils sont très mobiles, « puisque sans richesses matérielles qui les encombrent » ([19])

II LES BATWA DE BIKORO : ENTRE L’ EXCLUSION ET L’ESCLAVAGE

Tout mensonge, toute injustice est une violence latente qui, un jour ou l’autre, deviendra forcément une violence patente ([20]) Il y a également une violence qu’on appelle oppressive, « une violence sourde, celle de l’exploitation de l’homme par l’homme » ([21]) Notons cependant que « la violence est à la fois contrainte physique, torture, mais aussi torture morale, tourment, humiliation. Disons qu’elle est une tentative pour réduire l’autre, pour le contraindre à se renier, à se résigner à la situation qui lui est faite, à renoncer à toute lutte, à abdiquer. C’est une entreprise directement menée contre la liberté de l’autre. Mais sous la forme parfaitement, immédiatement visible, ou sous la forme plus subtile que l’on peut caractériser par les diverses figures convenables qui constituent l’aliénation : celle-ci revient, cette fois, à séduire l’autre, à l’amener à se voir lui-même tel qu’on le voit, à justifier lui-même le destin qu’on lui fait, qu’on lui impose ([22])

En effet, dans la cohabitation bantou-pygmée dans le Territoire de Bikoro, toutes ces formes de violence y sont présentes. Il nous revient ainsi de les analyser.

Bien que les Batwa, c’est-à-dire pygmées, sont citoyens libres de la République Démocratique du Congo à l’instar des bantous (Baoto), « les Baoto s’imposent politiquement et socialement aux Batwa comme Nkolo, terme qui signifie à la fois supérieur et maître dans le sens latin de « dominus » et qui relègue les Batwa en situation inférieure de serviteur et de client. Ils sont régis par un statut personnel coutumier qui diffère totalement de celui des Bantous. ([23]

A l’origine de la vassalisation des Batwa, la légende de « de la malédiction du fils aîné semble tout expliquer. Un ancêtre indéterminé avait deux fils. Après une journée de chasse, l’aîné omit de remettre au père les parties de viande qui lui revenaient en vertu de la coutume. Le père critiquait cette manière d’agir et le fils aîné s’excusait, mais continuait à contrevenir aux devoirs de la hiérarchie familiale coutumière. Le père maudit alors le fils aîné et donna tous les droits qui revenaient à l’aîné au frère cadet ([24]) D’après cette légende, le fils aîné maudit c’est un « pygmée » et le cadet à qui on a donné tous les droits, c’est un « bantou ». Cette légende est répandue dans la mentalité populaire. Toutefois, cette légende n’est-elle pas une idéologie bantoue surtout quand on sait que « l’idéologie qui domine une société des classes (et écrase éventuellement d’autres idéologies dès lors dominées) s’exerce au bénéfice ou au profit de la classe dominante, servant les intérêts de cette dernière, contribuant à la production de la domination : et cela tout simplement en justifiant les hommes d’occuper la position qu’ils occupent dans la structure de classes ; position de dominant ou d’exploiteur… de dominés ou d’exploités… » ([25])

N’oublions pas que « les idéologies ne sont pas seulement des systèmes d’idées-représentations sociales mais elles sont aussi des systèmes d’attitudes sociaux ([26]), Ceci veut dire que les idéologies ne restent pas des lettres mortes mais elles finissent par se traduire en actes dans le comportement de tous les jours.

Dans cette contrée on naît bantou ou « twa », on ne le devient pas. Ceci montre combien le passage d’une caste à une autre n’est pas possible, les « twa » sont considérés comme « des enfants mineurs, irresponsables et capricieux » ([27]) Ainsi, ils n’ont pas droit au « losako », c’est-à-dire à la salutation solennelle qu’on donne aux aînés quelque soit leurs âges. Au contraire, ils sont obligés de donner « losako » à tous les bantous : femmes ou enfants, même ceux qui sont moins âgés qu’eux alors que dans la tradition de ces peuples, on ne donne généralement pas le « losako » à une femme. Ceci montre combien, les pygmées sont considérés comme des éternels enfants.

La mentalité « twa » est jugée primitive et son âme, celle d’esclave. La manque quasi-total de l’esprit préventif qui les conduit à vivre selon le principe « à chaque jour suffit sa peine », leur dépendance aux bantous, constituent aux yeux de ces derniers un élément important pour justifier la malédiction dont il serait victime.

Comme le signale MOLINGA (), dans le Territoire de Bikoro, les « Batwa » constituent une main-d’œuvre abondante et quasi gratuite. Les travaux périlleux, épuisants et peu sains sont souvent exécutés par eux en contre partie d’une rémunération qui ne cache pas l’exploitation dont ils sont victimes. Souvent ce qu’on leur donne ne correspond qu’à une partie de leur travail, « ce que Marx appelle le travail nécessaire. L’autre partie non payée, correspond à un non travail, et produit la plus-value, c’est-à-dire finalement le profit » ([28]) En ce sens, le travail des « Twa » auprès des Bantous se présente bien comme une forme d’exploitation.

Mais il est aussi une forme d’aliénation. Le travail des « Twa » leur est extérieur. « L’extériorité de leur travail apparaît en ce que le travail n’est pas à eux, mais aux autres, qu’il ne leur appartient pas, que dans leur travail, il ne s’appartient pas mais qu’il appartient aux autres » ([29])

Notons cependant que parmi les « Twa », il y a lieu de distinguer ceux qui font partie de la propriété privée d’une famille et ceux qui sont utilisés uniquement pour certaines fins. Les deux catégories pour un même travail ne sont pas payées de la même façon. Ceux faisant partie de la propriété privée puisqu’étant à la charge de la famille de leurs maîtres, ils bénéficient souvent d’habits, de la nourriture… ne touchent presque rien. Tandis que les seconds touchent leur dû en argent ou en nature suivant les closes de leur contrat.

Il est curieux de constater que les « Twa » qui sont les premiers occupants de cette contrée dans le sens que nous avions signalé autrefois, ne sont pourtant pas propriétaires des terres. Pour se procurer des produits de champ, ils sont obligés soit de les acheter, soit d’exécuter les travaux champêtres auprès des Bantous. Ils peuvent avec leur femme s’occuper des travaux de champs à partir du défrichage jusqu’à la récolte mais eux-mêmes ne se soucient pas d’avoir leurs propres champs peut-être parce qu’ils n’ont pas de terres

En effet, en ce qui concerne la gestion de la cité, de la chose publique, les « Twa » brillent par leur absence. Ils réservent cette tâche aux Bantous. Et de leur côté, ceux-ci ne sont pas encore prêts à accepter d’être dirigé ou commandé par un « Twa », car c’est pécher contre le bon sens.

Mais comment ils peuvent occuper les postes stratégiques surtout quand on sait que les rares enfants « Twa » qui fréquentent l’école subissent chaque jour injures et humiliations de la part des enfants Bantous jusqu’à ce qu’ils abandonnent le chemin de l’école. Les rares intellectuels «Twa » sont ceux qui évoluent en dehors de cet environnement.

En d’autres termes, les Bantous dans leur comportement de chaque jour, ne donnent aucune chance aux « Twa » de sortir de leur carcan idéologique. N’ayant pas une élite intellectuelle capable de leur proposer une série d’éléments de réflexion susceptible de promouvoir la remise en question que MABIKA ([30]) considère comme base de la décolonisation mentale ; les « Twa » éprouvent de difficultés pour sortir de leur infériorisation et traiter d’égal à égal avec les bantous.

L’ignorance dans laquelle vivent les « Twa »constitue un grand danger d’autant plus qu’ « une société organisée sur base de la connaissance de la vérité a plus de chance de survivre et de mieux échapper à la disparition qu’une société « dite naturelle » ([31]) comme celle des « Twa ».

La répugnance des Bantous envers les Batwa est l’une des caractéristiques essentielles de leur relation. « De leur plus tendre enfance, les Baoto sont éduqués dans le plus profond mépris à l’égard des « Batwa » et de tout ce qui leur est propre, en vertu de la malédiction originelle » ([32])

Les Bantous donnent des consignes claires à leurs enfants sur la nature des relations qui existent et qui doivent exister avec les pygmées. C’est ainsi qu’un enfant Bantou ne tarde pas à pleurer si quelqu’un ose l’appeler « motwa », c’est-à-dire pygmée, car ceci paraît l’injure la plus grave que nul Bantou ne peut accepter.

Dans le domaine du mariage, la société exige que chaque groupe se marie entre séparément, c’est-à-dire les Bantous entre eux et les Pygmées entre eux aussi. Le mariage entre un bantou et une pygmée, entre une bantoue et un pygmée sont strictement interdit. Un Bantou ou une Bantoue qui ose prendre en mariage une « Twa » ou un « Twa » subit sans une autre forme de procès la rigueur de la loi. Ses compagnons l’éviteront, il sera pratiquement évincé de son groupe et devra s’installer chez les Pygmées. Il perd par ce fait même le statut de Bantou.

L’enfant né de l’union d’un Bantou et d’une Pygmée ou vice versa, n’a pas droit de cité chez les Bantous car considéré comme Pygmée. N’a-t-il pas de sang « Twa » dans ses veines ? Le verdict sur ce point là est sans appel.

ELSHOUT note cependant que l’agglomération Batwa est séparée de celle de Baoto par une distance de 50 à 300 mètres légèrement boisée et garnie de hautes herbes, de façon à la soustraire à la vue de l’agglomération Baoto. Le village Batwa se trouve à l’extrémité du village Baoto qui est opposé à la direction des vents dominants, les Baoto ne voulant avoir aucun contact sensoriel avec l’agglomération Batwa ([33]). Cette réalité reste vivace jusqu’aujourd’hui.

Même s’il meurt de soif, un Baoto ne boira jamais à la calebasse d’un Botao auquel d’ailleurs, il est sévèrement défendu de puiser de l’eau avec sa propre calebasse, à la source utilisée par les Baoto. En outre, sous aucun prétexte un Baoto ne touchera aux mets préparés par une femme botao. ([34])

Comme le constate d’ailleurs EVERBOECK ([35]), cette attitude de répugnance s’observe surtout dans le domaine social.

Il convient cependant de faire remarquer que les Bantous dans le Territoire de Bikoro n’éprouvent aucune répugnance à consulter des féticheurs et guérisseurs Pygmées. Les citoyens de cette contrée savent bien que « la vie que mènent les Batwa en continuel contact avec la forêt leur fait acquérir de très vastes connaissances dans le règne végétal. De leur enfance, ils sont capables de désigner par le nom la moindre plante ou herbe et ils en connaissent éventuellement les vertus curatives » ([36])

Dans le domaine musical par exemple, les Bantous n’éprouvent aucun inconvénient de suivre le folklore Pygmée surtout quand on sait que ces derniers sont des excellents danseurs et ont des atouts musicaux indéniables. D’ailleurs on recourt parfois aux pygmées pour accueillir les hôtes de marque. Le feu danseur « Twa » ILONGO JOUEUR était maintes fois le danseur attitré accueillant les hôtes de marque dans la cité de Bikoro, chef-lieu du Territoire de Bikoro.

CONCLUSION

Quand bien même les bantous et les Pygmées du Territoire de Bikoro sont appelés grâce à la géographie et à l’histoire de vivre ensemble, les Bantous cherchent dans leurs relations avec les Pygmées de tirer toujours profit.

Comme le signale MOLINGA, « les Batwa sont assujettis à leur « Nkolo » (maître) par un héritage culturel souvent difficile à comprendre et à expliquer puisque sans fondement objectif. Ceci montre que, l’aliénation culturelle est à la base même de cette infériorisation de l’homme « Twa ».

Les « Twa » de Bikoro ne doivent pas perdre de vue que de toutes les aliénations, « l’aliénation culturelle est la plus dangereuse [37]et la plus perfide (37) D’où ils doivent refuser de se comporter en maudits et par ce fait même décider de prendre leur destin en main. Continuer à croire au récit de la malédiction, « c’est demeurer trop longtemps encore colonisable et bon pour des travaux d’exécution, mais impropre à construire individuellement et collectivement une culture matérielle et idéelle digne de respect et de grandeur » ([38])

En effet, les Bantous du Territoire de Bikoro doivent savoir que pour se développer, la République Démocratique du Congo a besoin de l’apport de tous ses citoyens. Ainsi, maintenir une partie de la population, minime soit-elle, dans le carcan idéologique et sous la domination c’est donner un coup dur tant au devenir du Territoire de Bikoro qu’à celui de la République tout entière.

Le 21ème siècle n’est pas celui où certains groupes tribaux ou raciaux doivent au nom de quelle supériorité marcher sur les autres Tous les humains sont ainsi appelés a travailler la main dans la main et d’échanger d’égal a égal en vue d’aider la société a aller de l’avant et a devenir de plus en plus humain.

Dieudonné IYELI KATAMU

E-mail : iyelikatamu@yahoo.fr

Tél. : 243 812 67 44 08



[1] KATAMU EPUNDA cité par IBONGO BWALA, Le sens et le rôle éducatif des contes chez les NTOMBA de l’Equateur, Mémoire de licence en Psychologie, FPSE, UNIKIS, Août 1990, p.5.

[2] MOLINGA NGANDA, Les localités de la Zone de Bikoro, éd. CERBI, Kinshasa, 1990, p.1.

[3] EVERBOECK, cité par IBONGU BWALA, Op.Cit, p.4.

[4] IBONGU BWALA, Op.Cit., p.4.

[5] ELSHOUT, Les batwa des Ekonda, Tervuren, 1963, p. 10.

[6] ROMBAUTS cité par ELSHOUT, Op.Cit. p. 11.

[7] MAMET,M., La langue Ntomba telle qu’elle est parlée au Lac TUMBA et dans la région avoisinante (Afrique centrale), Tervuren, 1955, p.5.

[8] MOLINGA NGANDA, Op.Cit., p.11.

[9] Ibidem, pp.11, 16 et 22.

[10] Agence de coopération culturelle et technique, in Almonach africain, 1979, p.34.

[11] WOUTERS cité par EVERBOECK, EKOND’E MPUTELA, histoire, croyances, organisation clanique, politique, sociale et familiale des Ekonda et de leurs BATOA, Tervuren, 1974, p.2.

[12] ELSHOUT, Op.Cit., p. 2.

[13] ELSHOUT,Op Cit , p.11.

[14] Ibidem, p.15.

[15]EVERBOECK, Op.Cit., p.129

[16] Agence de la coopération culturelle et technique, Op.Cit., p. 34.

[17] MOLINGA, Op.Cit., p. 17 et 24.

[18] Agence de coopération culturelle et technique, Op.Cit., p.153.

[19] BALANDIER,G., Afrique ambiguë, Paris, 1962, p.153.

[20] ONIMUS,J. (Sous la direction de), La violence dans le monde actuel, centre d’Etudes de la civilisation contemporaine, Desclée de Brouwer, 1968, p.277.

[21] JEANSON cité par ONIMUS, Op.Cit., p.2.

[22] Ibidem,p.271.

[23] Everboeck ? Op.Cit., p.2.

[24] ELSHOUT, Op.Cit., p.50.

[25] LEGRAND,M., Psychanalyse, science, société, 1983, p.44.

[26] HARNECKER, cité par LEGRAND,M., Op.Cit. p.43.

[27] EVERBOECK, Op.Cit., p.2.

[28] MARX cité in Encyclopaedia Universalis,, corpus 16. Paris, 1985, p.395.

[29] Encyclopaedia Universalis, Op.Cit., p.395.

[30] MABIKA KALANDA, La remise en question. Base de la décolonisation mentale. , CEP, Kinshasa, 1965.

[31] MABIKA KALANDA Op Cit, p.12.

[32] ELSHOUT, Op.Cit.,p.51.

[33] ELSHOUT, Op.Cit., p.24.

[34] EVERBOECK, Op.Cit.,p.130.

[35] Ibidem,p.2.

[36] ELSHOUT, Op.Cit., PP.31-32.

[37] TEOVOEDJRE, cité par MICHAUD,G., (Sous la direction de), Négritude : traditions et développement, P.U.F.Paris, 1978, p.146.

[38] MABIKA KALANDA, Op.Cit.,p.149.