lundi 21 décembre 2009

Etats-Unis d'Afrique

Structure, régime politique et frontières des Etats-Unis d’Afrique : une problématique de conciliation du fédéralisme (africain) aux exigences de souveraineté des Etats membres.

Par John NKOKO LIPAMBALA

Enseignant et chercheur à l’Université de Kisangani/ Kisangani. République démocratique du Congo. Tél : +243 998506935, +243 85 370 24 33 E-mail : jdlipambala@hotmail.com

Résumé

L’Afrique reste l’un des continents qui pose trop de problèmes au reste du monde. Son retard sur le plan de développement suscite beaucoup d’inquiétudes de la part de la communauté internationale. La prise de conscience de cet état de chose a déjà été faite dès les premiers jours des indépendances. C’est ainsi que plusieurs modèles de développement ont été conçus pour sortir le continent de cette situation. Toutefois, ces expériences n’ont pas donné des résultats escomptés pour plusieurs raisons dont la division qui a été à la cause de plusieurs conflits. Le caractère bipolaire du monde pendant la guerre froide a également joué un rôle négatif à la construction de l’Afrique.

Les intellectuels africains et les politiques ont, après avoir fait la lecture de leur passé, trouvé la nécessité de penser au décollage de l’Afrique dans un projet fédératif des tous les Etats du continent. Ce qui pourra donner à cette union la chance d’avoir droit au chapitre dans l’échiquier mondial.

Dans le stade actuel, la fédération de tous les Etats africains dans un ensemble plus dynamique est devenue un principe accepté par la majorité des Etats. Cependant, il se pose alors certains problèmes consistant à intégrer ces Etats qui trouveraient cette union comme un frein à l’exercice de leur souveraineté. Parce qu’en fait, le fédéralisme accepté comme mode de gestion de cette union suppose l’abandon d’une partie de souveraineté des Etats. Au cas contraire, c’est plutôt l’idée d’une confédération qui devrait guider les responsables africains. La confédération implique l’égalité des Etats qui gardent chacun sa souveraineté mais acceptent de coopérer dans certains domaines, ce qui ne peut pas favoriser l’unité africaine.

En adoptant pour les Etats-Unis d’Afrique, le mode de gestion fédérale se matérialise au moyen d’une structure étatique favorisant à la fois l’autonomie des États fédérés et une solidarité entre ceux-ci. On serait en présence d’un grand gouvernement avec les principes qui le régissent dont l’autonomie et la participation. La répartition des compétences donne lieu aux frontières entre l’Union (Etats-Unis d’Afrique) et les Etats membres.

Ainsi, cet exposé se veut une discussion de la structure et du régime politique des Etats-Unis d’Afrique posant ainsi les frontières entre le grand ensemble et les membres qui le composent. Il s’agit pour nous de discuter des institutions à mettre en place tout en permettant la participation et l’autonomie des Etats, en dépit du fait que cette autonomie ne sera plus totale. Elle devrait être fragmentée mais intégrée dans un système qui est les Etats-Unis d’Afrique.

Il est pour nous question de concilier les positions de « souverainistes » et de « fédéralistes » dans la formation des Etats-Unis d’Afrique. Telle sera l’hypothèse qui guidera notre communication.

Introduction

La création de l’Etat en Afrique est une œuvre qui parait être en dehors des aspirations africaines mais plutôt une conséquence de l’histoire. En effet, les espaces étatiques africains actuels sont le fruit du découpage du continent par l’Acte de berlin. Les grandes puissances européennes avaient consacré, dans un « acte général », deux principes essentiels de la colonisation. Le premier a proclamé la liberté de navigation sur le Niger et le Congo et la liberté de commerce dans le bassin du Congo ; le second, aux objectifs plus vastes, développa la théorie des zones d’influence : chacune des puissances contractantes pouvait revendiquer l’annexion de territoires occupés en reculant indéfiniment ses frontières jusqu’à ce qu’elles rencontrent une zone d’influence européenne voisine. Cette extension territoriale suppose une occupation effective et une notification immédiate des accords conclus avec les dirigeants autochtones aux autres puissances contractantes.

La configuration des Etats actuels est sortie de ces principes auxquels les indépendances se sont conformées pour la libération des activités politiques et l’octroi de la souveraineté. Ce partage du continent n’a donc pas tenue compte des ethnies et des particularités de chacun des territoires. Ce qui a guidé l’occupation, c’est plus le souci d’exploitation économique et les intérêts de grandes puissances. Ainsi, plusieurs interprétations de l’Etat en Afrique privilégiant l’une ou l’autre thèse sont légions. Il s’agit entre autre des thèses de l’Etat importé (Badie1992), de la panne de l’Etat (Salamé1996) et de greffe de l’Etat (Bayart1996) en Afrique. Toutes ces explications ont pour tronc commun la recherche des causes de tant de problèmes qui ne permettent pas le décollage du développement en Afrique.

Si ces tentatives d’explications sont d’ordre purement scientifique, il convient de souligner que plusieurs Etats africains avaient dans l’histoire tenté de mettre en place un certain nombre de modèles de développement dont le l’objectif fut de chercher le modèle qui conviendrait le mieux en Afrique. L’Afrique a une histoire politique qui n’est pas à confondre avec celle d’autres continents. L’organisation traditionnelle africaine s’est transformée au choc de la traite des noirs et de la colonisation. Ces deux faits historiques ne peuvent pas ne pas donner une explication à la naissance et au fonctionnement des Etats africains.

C’est ainsi qu’après plusieurs efforts de cohésions nationales, les leaders politiques et intellectuels africains ont vu la nécessité de penser à la cohésion continentale. Il s’agit de mettre en place les mécanismes d’unification du continent. Les regroupements sous-régionaux constituent les exemples de ce vouloir vivre collectif africain, bien que ces expériences n’ont pas toujours réussi partout à intégrer les nations obligées à se constituer par le sort de l’histoire. Les conflits armés entre les Etats et les rébellions continuent à mettre en doute toutes les initiatives de l’intégration africaine. Ainsi, le projet de l’intégration des Etats africains au sein des Etats-Unis d’Afrique est devenue une sauce qui,à notre avis,pourra apaiser la soif de l’unité africaine. Il ne s’agit pas d’un Etat uni, mais plutôt d’un projet fédératif des Etats déjà constituées au sein d’un grand ensemble en vue de constituer une force au niveau mondial compte tenu des enjeux actuels de la globalisation.

A ce niveau, il se pose donc le problème de concilier les différentes souverainetés dans une fédération. Les questions fondamentales qui se posent peuvent se résumer à celle des structures (organes), du fonctionnement de la fédération (régime politique) et de ses frontières. En d’autres termes, il est pour nous question de donner une réponse pouvant contribuer à alimenter les débats sur la forme que peut prendre cette organisation appelée à réunir les différents Etats souverains dans un ensemble plus complexe, sur le fonctionnement et les limites des Etats-Unis d’Afrique.

La théorie du fédéralisme par association nous permet de conduire notre discussion sur la constitution de cette union continentale. Cette idée avait déjà été proposée par Raymond Aron en la qualifiant de la fédération planétaire pour la recherche de la paix internationale. Avec la fédération planétaire, la communauté de culture est préservée, elle renonce seulement aux pouvoirs dont l’unité supérieure a besoin pour assurer la défense et le bien-être de tous (Aron1984 :738). Les pouvoirs auxquels les Etats doivent renoncer ne sont autre chose que la souveraineté. C’est cette expérience que veut vivre l’Afrique dans sa composition d’Etats indépendants et souverains pour devenir une fédération. Tel est l’effort intellectuel que nous consentons à travers les lignes qui suivent.

Pour y parvenir, nous avons jugé nécessaire de subdiviser notre propos en trois parties. La première essaie de préciser le contour du fédéralisme dont il est question dans cet ensemble continent et donne quelques explications sur la souveraineté. La deuxième est un essai de proposition de structures pouvant permettre aux Etats-Unis de fonctionner, elle est aussi une tentative d’explication du régime politique susceptible de contribuer à la consolidation de l’Union et la troisième discute des frontières de cet ensemble appelé à intégrer les différentes forces du continent africain.

Du fédéralisme et de la souveraineté

En se mettant d’accord sur le projet des Etats-Unis d’Afrique, nous pensons que les leaders politiques et les intellectuels africains ont cherché à privilégier trois options qui sont la constitution d’une force pour faire place à la compétition économique, promouvoir la solidarité entre les Etats membres fédérés et les valeurs de paix et de justice en vue d’atténuer ou d’éradiquer les conflits politiques interétatiques qui constituent un frein au développement des pays Africains.

Le fédéralisme permet la réalisation de ce projet de par sa définition. En effet, cette forme d’organisation permet à des collectivités politiques de s’unir, tout en conservant leur autonomie locale, sous l’autorité d’un pouvoir unique et souverain, établi constitutionnellement. Il s’agit ici du fédéralisme dans un Etat uni. La souveraineté appartient au seul Etat fédéral. C’est dans cette optique que Braud affirme que l’Etat fédéral instaure une fragmentation juridique de l’espace plus poussée, même si celui-ci demeure une unité politique sur l’arène internationale (Braud 2006 : 139). Il s’agit ici de la conception interne du fédéralisme au sein de l’Etat entendu comme une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès , dans l’application des règlements , le monopole de la contrainte physique légitime( Weber1995 :97). Dans cette logique, l’on ne parlera pas de souveraineté des Etats fédérés.

Dans la présente réflexion, nous avons retenu les principes du fédéralisme mais dans leur application du fédéralisme par association.. Il s’agit donc pour nous du regroupement d’États au sein d’une ligue ou d’une union. A ce stade, une confusion peut être possible entre la fédération et la confédération. Il est donc important de retenir que la confédération n’exige rien de la souveraineté des Etats membres. Les Etats confédérés se mettent d’accord pour coopérer sur un certain nombre de matières, chacun gardant sa souveraineté dans son ensemble. Le seul point qui les unit c’est celui pour lequel ils ont signé un traité de coopération. En dehors de cette matière, les Etats sont libres d’agir en toute liberté et en toute indépendance.

Dans la fédération par association, les Etats fédérés s’unissent pour tout ce qui concerne le fonctionnement d’un Etat moderne. Ils mettent ensemble leurs forces respectives pour constituer une force fédératrice. C’est donc une union des forces[1] pour créer une force des forces et non une force unie. Ce qui revient à dire que la force constituée dans la fédération internationale n’est pas la fusion des forces étatiques existantes mais leur somme intégrée. Le respect de chaque membre est fonction de son degré intégration et de son vouloir fédératif, gage de l’union et de la solidarité entre les membres.

Dans tous les cas, les principes sur lesquels se fonde le fédéralisme sont l’autonomie et la participation. Ces deux grands principes constituent la clé de fonctionnement du fédéralisme, peu importe le degré de son application, interne ou international.

L’autonomie dont jouissent les Etats fédérés se comprend par rapport aux institutions dont ils disposent pour leur fonctionnement tout en restant membre de la fédération. Il s’agit d’une vraie répartition constitutionnelle des compétences. Les Etats fédérés disposent des institutions qui leur permettent de bien intégrer l’Etat fédéré dans la fédération. Ce sont des institutions que nous pouvons appelées fédérées « fédéralisantes». Ces institutions doivent être tantôt des institutions choses comme la constitution tantôt des « institutions organes », tel est le cas du parlement et du gouvernement voire même des cours et tribunaux. La valeur des ces institutions ne se comprend que dans leur aptitude à contribuer à l’union de l’ensemble.

La participation implique l’appropriation de l’union par les Etats constitutifs. Elle postule de la mise en place des institutions où les différentes forces en présence se retrouvent et les décisions doivent être prises par un mécanisme de cohésion, ce qui pourra atténuer le risque séparatiste résultant des frustrations. Au niveau d’un Etat, on parle plus du caractère bicaméral du parlement.

De son côté, la souveraineté avec ses deux dimensions interne et externe. Sur le plan interne l’Etat constitue l’autorité suprême au- dessus de laquelle la présence de toute autre autorité est impensable, sinon ce serait l’absence de l’Etat. Toutes les autres institutions lui sont soumises par les lois qu’il édicte. Sur le plan externe, elle implique l’indépendance et l’égalité des tous les Etats dans l’ordre international. Le territoire de chaque Etat ne doit donc pas faire l’objet d’une ingérence extérieure, ce qui constitue une violation de souveraineté.

Cependant, dans les relations interétatiques, le respect des engagements internationaux ne constitue en rien une faiblesse des Etats mais au contraire, il est la confirmation de sa souveraineté par le fait la prise des engagements est un acte de souveraineté. Leur respect serait la traduction de ce qu’on a pris de façon souveraine. Le principe de « pacta sunt servanda » veut tout simplement pousser les Etats au respect des engagements qu’ils sont souverainement pris.

Il sied de noter que la configuration des échanges internationaux avec la globalisation invite à repenser autrement la souveraineté. Les Etats sont appelés coopérer dans plusieurs domaines qui souvent transforment les relations internationales. Les différents Etats souverains arrivent à aliéner une partie de leur souveraineté au profit de l’union constituée. La constitution des grands ensembles rend plus compétitifs les Etats dans la scène internationale. L’exemple de l’union européenne constitue un cas illustratif de l’intégration des souverainetés, tout en soulignant cela n’est qu’un processus qui poursuit son bon chemin.

Le monde actuel, avec l’évolution qui le caractérise, appelle à repenser l’adaptation de la souveraineté aux exigences de la compétition planétaire. David Acaud et Laurent Bouvet précise que plusieurs facteurs (la mondialisation, les processus d’intégration régionale, la multiplication des formes de contestation du pouvoir central, les terrorismes) ont concouru à mettre en cause la manière dont les compétences de l’Etat sont en mesure de s’exercer (Acaud et Bouvet 2004 :356).

L’Afrique se propose un modèle des Etats-Unis d’Afrique. Ce qui est une sorte de fédéralisme des Etats déjà constitués en entités souveraines. L’imagination d’une structure appropriée peut favoriser la réussite d’un tel projet fédérateur. Ce qui veut tout simplement dire qu’il n’y a pas d’institutions prêtes à porter pour le fédéralisme tant national qu’international. Nous voulons à présent soumettre à la discussion scientifique nos propositions de réflexion sur les Etat-unis d’Afrique.

Structure et régime politique des Etats-Unis d’Afrique : contribution africaine à la fédération des Etats africains.

La mise en place des Etats-Unis d’Afrique dans l’optique d’un fédéralisme conduit à la mise en place des organes susceptibles de favoriser l’autonomie des Etats membres tout en privilégiant leur participation.

Ainsi, dans le stade actuel, l’union africaine, qui a remplacé l’OUA depuis lors du sommet de Durban en juillet 2002, a mis en place des organes ci-après : la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, qui doit se réunir au moins une fois par an ; le Conseil exécutif, qui succède à l’ancien Conseil des ministres de l’OUA et réunit les ministres des Affaires étrangères ; le Comité des représentants permanents, composé des ambassadeurs des États membres résidant à Addis-Abeba ; et la Commission, qui remplace l’ancien secrétariat général. Le projet de la mise en place d’autres institutions comme le Parlement panafricain, une Cour de justice, un Conseil économique, social et culturel et des institutions financières (Fonds monétaire africain, Banque centrale) mérite bien d’être soutenu en vue du bon fonctionnement de l’Union.

Cette structure est certes d’une importance capitale pour la matérialisation des projets de l’union africaine. Notre contribution à ce niveau consiste à voir si ces organes peuvent contribuer à la réussite des Etats-Unis d’Afrique qui, à notre avis, est plus qu’une simple union dont la forme serait semblable à une confédération. Les Etats-Unis d’Afrique est un véritable fédéralisme. C’est pourquoi nous pensons que ce qui doit être privilégié dans cette optique, c’est plus le souci de l’intégration politique qui doit pousser à la longue à l’intégration économique. L’on nous contredirait en disant que le cas européen est parti de l’intégration économique pour arriver à l’intégration politique qui est en cours. La réponse à cette critique pourrait être le contexte de la création des Etats en Afrique. D’ailleurs, ce qui a plus milité à la création de l’Etat-nation pour bon nombre des pays, c’est l’intégration politique qu’au sein d’un ensemble convenu pour devenir la nation. Le cas de

Les ambiguïtés des rapports entre les guerres civiles et le sous-développement en Afrique

Les ambiguïtés des rapports entre les guerres civiles et le sous-développement en Afrique

Par Guilain MATHE MAGHANIRYO

La présente réflexion part du débat suscité par une thèse soutenue par certains spécialistes des guerres civiles en Afrique. Thèse selon laquelle ce sont la pauvreté et le sous-développement qui sont à la base de ces affrontements. Aussi, jugeons-nous opportun de (res) susciter le débat autour de la relation dialectique entre la pauvreté (le sous-développement au sens large) et l’émergence des conflits armés (qui prennent la forme récurrente de guerre civile en Afrique) avec l’objectif d’ouvrir à de nouvelles pistes de réflexion sur la question.

En effet, dès le lendemain des indépendances, le continent africain s’est tristement illustré dans les explosions des conflits armés aux enjeux multiformes. Aussi vrai que le faisait remarquer Peter ANYANG’NYON’O en 1996, l’Afrique « se présente à la face du monde comme un vaste champ de bataille où s’affrontent pêle-mêle armées nationales, milices partisanes, populations civiles »[1]. Non sans des graves conséquences. A en croire Philippe HUGON, entre 1945 et 1995, plus d’un quart des conflits mondiaux ont été localisés en Afrique avec plus de 6 millions de morts sur des populations de 160 millions de personnes (Soudan, Ethiopie, Somalie, Mozambique, Angola, Ouganda, Rwanda, Burundi, Sierra Leone). Depuis 1990, 19 conflits majeurs ont été localisés dans 17 pays. La baisse des conflits majeurs en Afrique entre 1990 et 1997 a fait place à une reprise entre 1998 et 2000 (11 conflits par an)[2]. Le rôle de la pauvreté et du sous-développement caractérisant de nombreux Etats africains déchirés par ces conflits n’a jamais fait l’unanimité parmi les spécialistes des guerres civiles.

Peut-on soutenir la thèse selon laquelle ces paramètres (pauvreté et sous-développement) seraient fondamentalement à la base de ces affrontements ? C’est à cette préoccupation que s’efforce de répondre le présent exposé. Dans une approche dialectique[3], la présente réflexion se propose de relever et démêler les rapports de causalité réciproque (et apparemment contradictoires) entre la pauvreté et le déclenchement des conflits armés en se basant sur des exemples typiquement africains. De cette lutte des contraires se dégagera une synthèse qui mettra clairement en évidence notre point de vue sur la question.

La rareté des ressources : facteur déterminant dans le déclenchement des conflits en Afrique ?

Nombreux analystes de guerres civiles en Afrique soutiennent que l’émergence de ces conflits a pour cause, entre autres, la pauvreté et le sous-développement dans la région. Selon la Banque Mondiale, la pauvreté est un phénomène multidimensionnel qui traduit une situation dans laquelle les gens sont incapables d’assurer leurs besoins humains fondamentaux. Ainsi, les pauvres perdent le contrôle sur des ressources nécessaires pour s’assurer l’éducation et la santé de base et sont frappés de la malnutrition, le manque de logement, le faible accès à l’eau et à l’assainissement. Comme le fait remarquer la Banque Mondiale, les pauvres sont de ce fait vulnérables aux violences, à la criminalité, au manque de liberté politique et d’opinion[4]. Il y a peu, le rapport du PNUD indique qu’en début des années 2000, plus d’un milliard de personnes (soit une personne sur cinq) vivent dans une pauvreté abjecte (avec la parité du pouvoir d’achat inférieure à 1 dollar par jour)[5] ; et c’est l’Afrique (subsaharienne pour une grande partie) qui porte le fardeau d’avoir la plus grande proportion de personnes pauvres (47,67%)[6]. Selon la classification de la Banque Mondiale en 2002, des 63 pays à faible revenu, 38 sont situés en Afrique subsaharienne[7] et, paradoxalement, ces derniers sont dans la grande majorité associés à la trentaine des pays qui ont connu l’expérience des conflits intra-étatiques sur les 53 Etats africains. Cependant la place de la pauvreté dans le déclenchement et l’entretien de ces conflits mérite d’être bien disséquer.

L’accès aux ressources économiques ne constituent pas moins une motivation des antagonistes, en même temps qu’un enjeu de poids, dans le déclenchement et le déroulement des conflits en Afrique. Cette réalité est perceptible tant au niveau de la société étatique globale qu’au niveau des entités individuelles et collectives. Outre l’acquisition des données géostratégiques et les motivations liées au sentiment d’appartenance identitaire, les spécialistes de la géopolitique soulignent que l’une des chaînes causales de la conflictualité, quels que soient l’époque et le lieu, tient à la lutte pour les ressources : matières premières, minières, agricoles ou industrielles. Il s’agit de s’emparer de richesses, pour le profit d’un Etat, parce que celui-ci peut ainsi, en s’enrichissant, augmenter sa puissance[8]. Cette logique tout à fait justifiée pour les Etats dans une approche géopolitique stato-centrée, vaut aussi pour les groupes armés infra-étatiques autant qu’aux acteurs individuels car ils ont eux aussi besoin de ressources pour survivre ou accroître leur puissance. Appliquée à la réalité africaine, il est ordinaire de voir émerger les insurrections armées reprochant à leur détracteurs une appropriation des ressources par une élite aristocratique et une mauvaise redistribution du revenu national. Malheureusement dans de nombreux cas, une fois au pouvoir, ils ne reproduisent que les mêmes griefs reprochés aux prédécesseurs.

En fait, selon le Fonds des Nations Unies pour la Population, le taux moyen de fécondité pour l’Afrique en 2000 est d’environ 6%, avec la population la plus jeune du monde[9]. La plupart de ces jeunes sont au chômage et vivent dans des zones urbaines, avec des implications sociales et sécuritaires non négligeables. Or si les jeunes sont confrontés à l’esprit de pauvreté, ils sont plus favorables à rejoindre une insurrection armée qui leur offrirait ou promettrait les meilleures conditions d’existence. C’est dans ce cadre qu’il convient de comprendre le fait que la rébellion en Côte d’Ivoire a recruté la plupart des combattants parmi les jeunes désœuvrés vivant dans des quartiers populaires et d’autres milieux où règnent précarité, oisiveté et pauvreté. Cela est tout aussi vrai pour la rébellion Sierra Léonaise sur fond d’exploitation du diamant, la double révolte touareg au Mali et au Niger[10], la nébuleuse des milices à l’Est du Congo-Kinshasa avec la délicate problématique de la réinsertion des enfants-soldats[11].

Dans cette perspective, Jean-Marie BALANCIE et Arnaud de LA GRANGE décrivent l’Afrique subsaharienne comme un terreau propice à de nombreuses formes de violence politique. Pour ces auteurs en effet, les violences politiques en Afrique constituent une réplique à l’instabilité, à l’insécurité, au sous-développement, à la pauvreté, au déséquilibre socioéconomique : « pour qui dénonce la partialité de l’Etat, le dysfonctionnement du gouvernement ou l’inéquitable répartition des efforts de développement au profit de certains groupes ethniques ou de certains terroirs privilégiés, la pratique de la lutte armée apparaît dans l’Afrique des années 80-90, comme l’un des seuls modes de contestation vraiment efficaces »[12].

La frustration collective due à la disparité de la répartition des ressources économiques, accentuée par une inégale redistribution du revenu national ; là réside de toute évidence un ingrédient de taille dans le déclenchement de la conflictualité en Afrique. Cependant une relativisation de ce facteur mérite d’être minutieuse mise en évidence dès lors que les guerres civiles en Afrique sont loin d’être l’apanage du seul fait de la pauvreté du sous-développement.

Pauvreté et conflits en Afrique : la symétrie d’une causalité relative

Loin d’être une fatalité, les guerres civiles en Afrique se révèlent par ailleurs comme un arsenal d’acteurs et d’enjeux avec des conséquences fâcheuses sur le développement des pays en conflits. Les guerres civiles en Afrique révèlent en effet une complexité de facteurs de causalité, et la pauvreté qu’elles impliquent s’avère la résultante d’une série de facteurs à la fois endogènes et exogènes qui induisent le sous-développement comme conséquence majeure. Plusieurs facteurs plaident en faveur de cette réalité. Il est vrai, comme l’affirme Philippe HUGON, l’accaparement des richesses naturelles constitue à la fois le financement et l’enjeu des conflits : « on peut ainsi différencier les guerres liées au pétrole (Angola, Casamance, Congo, RCA, Soudan, Delta du Niger au Nigeria), au diamant (Angola, Guinée, Liberia, Nord de la Côte d’Ivoire, RDC, Sierra Leone), aux métaux précieux (or, coltan à Bunia en RDC), au contrôle de l’eau (riverains du Niger et fleuve Sénégal), aux narcodollars, au contrôle des ressources (coton au Nord de la Côte d’Ivoire, café et cacao au Sud), des ressources forestières et des terres (Burundi, Côte d’Ivoire, Darfour, Rwanda) »[13].

Force est de réaliser que la prétention de nombreux rebelles à assurer une meilleure redistribution des ressources nationales pour le bien-être de tous n’est qu’un simple prétexte qui voile en réalité la cupidité et d’autres agendas cachés des acteurs visibles et invisibles des guerres civiles. A ce titre, on réalise aisément que dans la plupart des rébellions, les mouvements rebelles n’ont pas d’agenda politique cohérent, mais sont plus intéressés par le pillage des ressources de l’Etat et de s’enrichir eux-mêmes ainsi que leurs disciples. C’est dans ce sens que David KEEN, sans méconnaître des facteurs d’ordre politique et sécuritaires dans leur déclenchement, soutient que les guerres civiles dans la plupart des pays en développement sont surtout une exploitation économique par les segments de l’élite dont l’aspiration a été contrecarrée par les élites concurrentes. A en croire l’auteur, les mouvements tels que National Patriotic Front of Liberia (NPFL), le Revolutionary United Front (RUF) de la Sierra Léone et le Mouvement Patriotique de la Côte d’Ivoire (MPCI) n’avaient pas de politiques claires à l’ordre du jour : leurs dirigeants sont plus des chefs d’entreprise que des dirigeants politiques[14].

Une telle reproduction des antivaleurs exacerbe plutôt le fossé de la pauvreté et du sous-développement. Il traduit la réalité des guerres menées au bénéfice des belligérants et leurs parrains étrangers, mais dont les paisibles populations paient par trop le lourd tribut. Cette logique démontre en toute évidence combien les guerres civiles constituent un facteur exacerbant la pauvreté et le sous-développement. Comme le fait remarquer Philippe HUGON, « les conflits réduisent la croissance économique et inversement de nombreux pays sortant des conflits connaissent une croissance rapide (Mozambique, Rwanda). Ces relations statistiques sont toutefois peu significatives en terme de sortie de trappes à sous-développement »[15]. C’est ainsi que l’Eglise Catholique n’a cessé de mettre en évidence la relation dialectique qui existe entre les conflits et la pauvreté, spécialement en Afrique. Se mettant à la suite de son prédécesseur PAUL VI pour qui « le développement est le nouveau nom de la paix », le pape JEAN-PAUL II soulignait déjà en 1993 les répercussions négatives que la situation de pauvreté finit par avoir sur la paix[16]. Vision corroborée par le Pape BENOIT XVI qui réaffirme avec force de taille que « combattre la pauvreté, c’est construire la paix »[17]. Aussi, à propos de la paix et du développement durable en Afrique, le porte-parole de l’Union Européenne à l’ONU affirmait avec justesse à New York, le 1er novembre 2000 : « le développement sans la paix n’est pas plus possible que la paix ne l’est sans le développement »[18].

Conclusion

A terme, il ressort de notre réflexion que la thèse qui situe la pauvreté et le sous développement à la base des guerres civiles en Afrique mérite d’être bien relativisée. La pauvreté et le sous-développement sont-ils des conditions suffisantes pour déclencher la guerre civile ? Pas si évident. Certes, la relation dialectique entre la pauvreté (et le sous-développement) et le déclenchement des guerres civiles est indéniable. Cependant, plutôt que d’être la cause exclusive et absolue des affrontements, la pauvreté se révèle à nos yeux comme un facteur aggravant des conflits armés en Afrique. Cela est d’autant plus vrai qu’il y a des Etats africains reconnus sous-développés depuis de longues années (tels le Benin, le Togo, la Tanzanie, le Botswana, la Zambie, la Namibie,…) mais qui n’ont jamais connu l’expérience lugubre des guerres civiles. De même, certains Etats assez avancés que d’autres (tel l’Algérie) n’ont pas été épargné par le fléau de la guerre. Il est cependant évident que la pauvreté soit une conséquence indéniable de la guerre. Toutefois, dans la mesure où la pauvreté constitue le ciment qui raidit la pente vers le déclenchement et la perpétuation des conflits armés, il va sans dire que l’on ne peut prétendre prévenir des conflits et construire une paix durable sans s’atteler à résoudre la question de la pauvreté et du sous-développement. En ceci, nous nous accordons avec Philippe HUGON pour qui « l’éducation des jeunes, la création et le passage d’économies de rente à des économies productives créant de la valeur ajoutée et des opportunités d’emploi sont des facteurs essentiels de réduction des risques de conflits »[19].

BIBLIOGRAPHIE

1. MATOKO, E., L’Afrique par les Africains. Utopie ou révolution ?, Paris, L’Harmattan, 1996

2. HUGON, P., Géopolitique de l’Afrique, Paris, Sedes, 2007

3. GRAWITZ, M., Méthodes des sciences sociales, 11e édition, Paris, Dalloz, 2001, pp. 441-443.

4. Mesurer la pauvreté”, in http://worldbank.org/poverty/mission/up2.htm

5. Choices”, in Development Magazine, Mars 2003

6. Rasheed DRAMAN (sous la préparation de), Pauvreté et conflits en Afrique : expliquer une relation complexe, Réunion du Groupe d’experts sur l’Afrique-Canada, Addis-Abeba, 19-23 mai 2003

7. Le Groupe Banque Mondiale: Données et statistiques

8. CHAUPRADE, A.et THUAL, F., Dictionnaire de géopolitique : Etats, concepts, auteurs, 2e édition, Paris, Ellipses, 1999

9. KOUASSI Yao, Le processus de formation des guerres civiles en Afrique, notes de cours, DESS Gestion des Conflits et paix, CERAP-Abidjan, 2009-2010.

10. MATHE M. Guilain, « Les pratiques magico-mythiques dans la célébrité des milices mayimayi au Kivu en RDC », in WARA Newsletter, Boston, Spring 2009

11. BALANCIE, J-M. et DE LA GRANGE, A., Mondes rebelles. Acteurs, conflits et violences, tome 1, Amérique-Afrique, Paris, Michalon, 1996

12. Message pour la journée mondiale pour la paix de 1993.

13. Combattre la pauvreté, construire la paix », Message pour la célébration de la journée Mondiale de la Paix, 1e janvier 2009.

14. BANAGOUN Zan, “Armées africaines et développement durable », in Géopolitique africaine : l’Union Africaine à la recherche de la paix, n°23, juillet-septembre 2006.

Guilain MATHE MAGHANIRYO est chercheur-politologue boursier de Scholar Rescue Fund’s Institute of International Education (SRF/IIE). Il se spécialise en Gestion des conflits et paix à l’Ecole de Sciences Morales et Politiques d’Afrique de l’Ouest (ESMPAO/ CERAP) à Abidjan (Côte d’Ivoire).



[1] MATOKO, E., L’Afrique par les Africains. Utopie ou révolution ?, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 224.

[2] HUGON, P., Géopolitique de l’Afrique, Paris, Sedes, 2007, p.129.

[3] La dialectique procède par la confrontation de la thèse à l’antithèse pour dégager la synthèse et « elle part de la constatation très simple des contradictions qui nous entourent ». Cfr. GRAWITZ, M., Méthodes des sciences sociales, 11e édition, Paris, Dalloz, 2001, pp. 441-443.

[4] Voir “Mesurer la pauvreté”, in http://worldbank.org/poverty/mission/up2.htm

[5]Choices”, in Development Magazine, Mars 2003

[6] Lire à ce propos Rasheed DRAMAN (sous la préparation de), Pauvreté et conflits en Afrique : expliquer une relation complexe, Réunion du Groupe d’experts sur l’Afrique-Canada, Addis-Abeba, 19-23 mai 2003, pp. 3-4.

[7] Le Groupe Banque Mondiale: Données et statistiques

[8] CHAUPRADE, A.et THUAL, F., Dictionnaire de géopolitique : Etats, concepts, auteurs, 2e édition, Paris, Ellipses, 1999, p.487.

[9] « Fonds des Nations Unies pour la Population, 2000 », Cité par DRAMAN, R., op.cit, p.10

[10] Lire à ce propos KOUASSI Yao, Le processus de formation des guerres civiles en Afrique, notes de cours, DESS Gestion des Conflits et paix, CERAP-Abidjan, 2009-2010.

[11] Cfr. MATHE M. Guilain, « Les pratiques magico-mythiques dans la célébrité des milices mayimayi au Kivu en RDC », in WARA Newsletter, Boston, Spring 2009, p. 15

[12] BALANCIE, J-M. et DE LA GRANGE, A., Mondes rebelles. Acteurs, conflits et violences, tome 1, Amérique-Afrique, Paris, Michalon, 1996, pp. 187-190.

[13] HUGON, P., op.cit, p.133

[14] DRAMAN, R., op.cit, pp.10-11

[15] HUGON, P., op.cit., p.141

[16] Message pour la journée mondiale pour la paix de 1993.

[17] “Combattre la pauvreté, construire la paix », Message pour la célébration de la journée Mondiale de la Paix, 1e janvier 2009.

[18] BANAGOUN Zan, “Armées africaines et développement durable », in Géopolitique africaine : l’Union Africaine à la recherche de la paix, n°23, juillet-septembre 2006, p.78.

[19] HUGON, P., op.cit., p.147

Hommages à Benoît Verhaegen à l'Université de Kisangani

Colloque « Benoît Verhaegen, l’homme et le savant. »

Date : 11-13 janvier 2010

Lieu : amphithéâtre de l’Université de Kisangani à Kisangani

Le Centre de Recherches Politiques et Sociales d’Afrique Noire (CEREPSAN) a le plaisir d’annoncer l’organisation prochaine de son deuxième colloque sur le thème « Benoît Verhaegen, l’homme et le savant ». Ce colloque ne s’inscrit pas dans le programme des activités scientifiques régulièrement prévues pour l’année universitaire en cours. Il correspond plutôt à un besoin urgent exprimé par les débiteurs que sont les chercheurs en sciences sociales de l’Université de Kisangani, en particulier, et des Universités de la République Démocratique du Congo (RDC), en général, celui d’honorer la mémoire de leur créancier que fut Benoît Verhaegen, l’Illustre maître à penser de l’Histoire immédiate et le pionnier de la faculté destinée spécifiquement aux sciences sociales à Kisangani, après le régime restrictif et centralisateur de l’Université Nationale du Zaïre, « UNAZA », en sigle.

Vingt-six ans après la création de la Faculté de sciences sociales, administratives et politiques à l’Université de Kisangani, qui n’a été en réalité qu’un retour-surprise, il est un devoir de mémoire légitime pour tous les universitaires et chercheurs qui ont vu, côtoyé et travaillé avec Verhaegen, et pour les anciens étudiants qui ont connu ses enseignements ou simplement lu ses écrits, de se mettre ensemble et de réfléchir sur l’héritage (savoir, savoir-faire, savoir-être) de cet homme qui, après avoir longuement et bien joué son rôle sur plusieurs scènes du savoir, s’est enfin retiré du monde en octobre 2009. Les communications présentées lors du colloque seront publiées sous le signe de Mélanges offerts à Benoît Verhaegen afin de l’immortaliser et de lui rendre réellement les derniers hommages en toute solennité.


Le colloque entend ainsi donner la parole à tous les participants à travers les axes recoupant les préoccupations qui ont été celles de Verhaegen dans la tradition de l’Histoire immédiate sur la ville de Kisangani. C’est aussi le lieu privilégié pour les méthodologues avisés de relancer le débat sur la portée, la pertinence, les applications, les limites ou faiblesses et les perspectives en termes d’actualités de la méthode et /ou théorie de l’Histoire immédiate tant prisée et usée dans les nombreux travaux des scientifiques de sciences sociales à l’Université de Kisangani, en particulier, et des universités de la RDC, en général. Les guerres, les turbulences, les conflits et violences meurtriers connus au cours de deux dernières décennies au pays, n’ont fait qu’accentuer l’intérêt des chercheurs sur l’applicabilité de cette méthode/théorie. Cet engouement des chercheurs pour l’utilisation de cette méthode/théorie serait-il dicté par les souvenirs forts et ardents de l’expérience interdisciplinaire/multidisciplinaire de Verhaegen qui a systématiquement travaillé sur les rébellions au Congo, les crises sociales comme la prostitution des femmes (femmes libres) et leur dynamisme dans l’économie marchande et informelle, l’histoire de la ville, de l’habitat et des élites politiques, les manifestations de l’ethnicité / du tribalisme dans l’arène du pouvoir politique, la pauvreté, ses formes / manifestations et ses mécanismes de compensation, les contradictions du système d’enseignement supérieur et universitaire congolais, le rôle révolutionnaire des sciences sociales, l’impact des mouvements religieux/messianiques dans le changement sociopolitique, les problèmes de transport, l’enclavement/isolement des certaines entités et leur sous-développement … ? Peut-on aujourd’hui écrire l’histoire ou les histoires sur le quotidien, le vécu des hommes et des institutions, les victoires et les échecs, les créativités ou inventions (dans les domaines politique, économique, social, culturel, etc.) dictées par les conditions de marginalité et de crise sans faire allusion, ne serait-ce que de manière incidente, à l’Histoire immédiate ? Perpétuer une telle tradition ne serait-elle pas qu’une justice faite ?

Les contributions devront s’inscrire -pas exclusivement- dans les principaux axes de recherche suivants.

1.A la rencontre de Benoît Verhaegen

Les contributions s’emploieront à parler de Benoît Verhaegen. Il est question de rappeler ce qu’a été simplement l’homme, de faire découvrir le savant et l’intellectuel engagé, etc. Les communications retraceront la biographie, la trajectoire sociale et professionnelle de l’homme.

2.Epistémologie

Les communications feront l’état des lieux des productions savantes de Benoît Verhaegen. Elles s’interrogeront surtout sur la validité des connaissances produites par Verhaegen et les conditions de leur production.

3.Applications et usages des savoirs

Les contributions devront porter soit sur les travaux fécondés par les questionnements et les théories de Benoît Verhaegen soit sur des papiers recourant à des interrogations alternatives à la pensée verhaegenienne. Il s’agit de relever l’impact de son travail scientifique et les usages qu’en ont fait d’autres chercheurs.

Benoît Verhaegen a beaucoup écrit sur les rébellions au Congo, les crises sociales comme la prostitution des femmes (femmes libres), l’économie marchande et informelle, l’histoire de la ville, de l’habitat et des élites politiques, les manifestations de l’ethnicité / du tribalisme dans l’arène du pouvoir politique, la pauvreté et ses formes / manifestations et ses mécanismes de compensation, les contradictions du système d’enseignement supérieur et universitaire congolais, le rôle révolutionnaire des sciences sociales, l’impact des mouvements religieux/messianiques dans le changement sociopolitique, … ?

4.Actualité et perspectives

Il s’agit de faire le bilan de la recherche à la faculté de sciences sociales, administratives et politiques depuis Benoît Verhaegen pour y distinguer les héritages de Verhaegen. Que est l’héritage scientifique de Benoît Verhaegen ? qu’est-ce qui en a été fait, qu’est-ce qui en reste et qu’est-ce qui peut être fait de l’héritage à la Faculté de sciences sociales de l’Université de Kisangani , ou mieux en sciences sociales? En d’autres termes, peut-on penser l’après- Verhaegen à travers le bilan de la trajectoire intellectuelle/académique, scientifique et éthique de cette Faculté ?

Evidemment, il conviendrait de placer le débat dans le contexte des objectifs poursuivis par l’Université de Kisangani dont les mots-clés se résument par l’enseignement, la recherche et le développement.

Les personnes souhaitant participer à ce colloque doivent envoyer au CEREPSAN, le résumé de la communication, se rapportant au thème général proposé. Les résumés devront parvenir par courrier électronique au Secrétariat du CEREPSAN au plus tard le 02 janvier 2010. Les résumés doivent comporter le titre, les coordonnées et l’affiliation institutionnelle de l’auteur et ne doivent pas excéder une page avec la police « Times New Roman », taille 12, interligne simple. Un comité de sélection indépendant examinera les candidatures et les auteurs sélectionnés seront informés en temps utile pour leur permettre d’apprêter leur texte intégral de la communication à présenter au colloque.

Les propositions de résumés, les communications finales et les questions éventuelles seront envoyées à l’adresse E-mail suivante : cerepsan.melanges.bverhaegen@googlemail.com

Téléphones : +243818562230, +243812005218, +243998506935

dimanche 15 février 2009

Plusieurs facteurs expliquent l'ascension de Barak Obama à la tête des Etats Unis

Bonsoir jeune frère,
Heureux de te lire. Ton article retrace des analyses hautement économistes et ça m'instruit davantage sur ce champ que je maîtrise seulement peu. Elles valent tout leur pesant d'or et tes observations sur mon article me semblent partiellement fondées. Il convient cependant d'éclaircir certaines zones d'ombre.
Je te joins encore avec l'article pour t'en refixer certaines précisions et dissiper certaines de tes craintes, voir du risque d'en caricaturer le contenu. Il faudra prendre un peu de temps pour relire surtout le troisième chapitre, avec les notes de bas de page. Surtout les pages 16 et 17, et la référence infrapaginale numéro 45.
L'article ne s'est pas assigné la prétention d'étayer exhaustivement les facteurs qui ont concouru à la victoire d'Obama, qui sont du reste multiples et multidimensionnels. Au-delà des enjeux identitaires, il y a notamment la brutalité et les tares de mégestion qui ont pesé de tout leur poids sur le gouvernement Bush ayant mis une tache indélébile de sang sur les "républicains" et qui ont finalement constitué une ressource politique aux démocrates, sans oublier la stratégie de campagne menée par Obama jamais vécue aux Etats-Unis, les soutiens non-déclarés des lobbies américains qui y ont adjoint une bonne dose de soubassement économique, l'arme médiatique qui a finalement conduit à une "starisation politique" du candidat Obama, etc. Le facteur religieux n'a pas été laissé pour compte.
Mais revisitez bien l'article et vous vous rendrez compte de sa circonscription épistémologique, qui se trouve confinée dans la problématique et la méthodologie y afférentes: sans méconnaître toute cette panoplie de facteurs, nous nous sommes assigné pour finalité n'analyser comment le facteur identitaire a pesé sur voire brouillé le jeu démocratique aux Etats-Unis, comment il a reconfiguré l'imaginaire sociopolitique africain dans l'enthousiasme (de)mesuré que son élection a suscité en Afrique, pour en dévoiler les soubassements etho-culturels, idéologico-civilisationnels et stratégiques. Rechercher les intentions qui ont sous-tendu les soutiens africains à Obama et circonscrire l'intentionnalité, telle était la finalité de notre modeste étude.
Affirmer le facteur identitaire comme ayant été le seul déterminant dans l'élection d'Obama, Ah non! cela constituerait une monstruosité et une haute trahison de la nouvelle génération des spécialistes de la géopolitique à laquelle nous sommes fier d'appartenir, et une approche caricaturale de l'analyse géopolitique qui s'insurge en faux justement contre le piège de la monocausalité et de la pensée unique pour rechercher constamment la multicausalité des faits politiques. Pour ainsi soutenir la thèse selon laquelle sans les soutiens d'autres communautés raciales américaines, Obama ne pouvait oser remporter une victoire aussi éclatante, les noirs n'étant que 12% environ de la population américaine.
Tes analyses économistes sont toutefois fondées et rejoignent l'un des multiples facteurs que j'ai identifié dans la victoire d'Obama, et je crois que nous sommes tout à fait d'accord à propos.
Cordialement,

Guilain Mathe M.

Chercheur- Politologue

Crise financière


Fasozine

Crise financière : Comprendre les causes et prévoir les conséquences

mercredi 22 octobre 2008.

Depuis un certain temps, on ne parle que de la crise financière avec ses conséquences désastreuses pour les sociétés cotées en bourse et les grandes banques internationales. Mais pour dire vrai, peu sont nos lecteurs qui comprennent les fondements de cette crise, ses causes et surtout leurs prévisibles conséquences. C’est ce que nous explique, à travers cette tribune, Taladidia Thiombiano, professeur émérite d’Economie à l’université de Ouagadougou.

Il y a quelques jours, le monde entier semblait être surpris de l’annonce d’une grave crise financière dont les conséquences pourraient être aussi désastreuses que celle de 1929.

En réalité, le processus couvait depuis fort longtemps et l’éclatement de la bulle ces jours-ci n’est que l’effet du trop plein de cette bulle. Il faut se rappeler que depuis deux décennies, le cours de la finance internationale n’est qu’une succession de crises dont les principales sont : 1987, krach boursier ; 1990, crise immobilière aux Etats-Unis, en Europe et au Japon ; 1994, crise obligataire américaine ; 1997-1998, crise financière internationale ; 2000-2002, krach internet ; 2007-2008, crise immobilière ; 2008-2009, crise financière et tendance vers une crise économie internationale.

Au regard de ces crises répétitives, on peut dire qu’il y avait des signes annonciateurs d’une crise mondiale beaucoup plus grave que celles précédentes. En dépit de tout, les politiques économiques ont continué à se fonder sur les théories néolibérales et monétaristes de Milton Friedman, prix Nobel d’Economie.

Les fondements de Friedman, outre qu’ils privilégient la monnaie comme dynamique économique, ils recommandent la non-intervention de l’Etat dans la régulation de la masse monétaire. C’est donc, le « laisser-faire, laisser-aller ». Tel est situé le contexte scientifique dans lequel a évolué le système financier international et de façon générale, l’économie mondiale depuis une trentaine d’années.

Dans cet article, nous examinerons : (1) les fondements de la crise, (2) les mesures d’urgence et leur efficacité, (3) les prolongements de la crise

1- Les fondements de la crise financière actuelle

La crise financière actuelle, que d’aucuns commencent à qualifier déjà de la plus grave depuis celle de 1929, est le résultat d’un processus cumulatif de facteurs.

1.1.Les causes théoriques

a) Pour l’économiste américain Milton Friedman, rien dans le système économique n’a autant d’importance que la quantité de monnaie. Partant de là, il estime que la régulation de la masse monétaire ne doit pas être abandonnée au jugement des autorités de l’institut central d’émission, comprenez par là, de la banque centrale – malgré toute leur bonne volonté, dit-il, ces personnages ne parviendront jamais à adapter exactement la masse monétaire aux nécessités du moment.

Il affirme que de cette façon, la masse monétaire s’adaptera au besoin d’augmentation des salaires, des stocks et prêts d’une part ; et d’autre part, la régularité de son augmentation permettra de maintenir l’économie dans la voie de la croissance. Tel est, en substance, ce que préconise le prix Nobel d’économie, bien écouté du Parti Républicain aux USA. On est en plein cœur d’un libéralisme guidé par les politiques monétaires avec la bénédiction du marché. L’Etat n’a aucun rôle à jouer.

b) La seconde cause qui découle bien entendu de la première est les subprimes ou les prêts immobiliers qui ont été accordés de façon inconsidérée aux Etats-Unis par les banques. Comment en est-on arrivé à la construction d’un système aussi incertain ou pour parler comme le Secrétaire au Trésor américain de « risque systémique ». Motivés par les profits, les organismes de crédits hypothécaires ont prêté à un secteur de la population déjà fortement endetté.

Il faut cependant retenir que les conditions de ces prêts à haut rendement (pour les banques) constituent une véritable arnaque comme le soulignent Millet D. et Toussaint D. (30 mars 2008). En fait, le taux est fixe et raisonnable au cours des deux premières années ; puis, augmente fortement ensuite. Par ailleurs, les institutions financières (prêteurs) affirmaient aux emprunteurs que le bien qu’ils achetaient, gagnerait rapidement de la valeur au regard de l’augmentation de son prix.

Le résultat, c’est que la bulle du secteur a fini par exploser en 2007, et les prix ont commencé à baisser. Attendu que le nombre d’incapacités de paiement s’est substantiellement accru, les institutions de crédits hypothécaires (1) se sont retrouvées dans des difficultés de remboursement de leurs dettes. Il faut rappeler que les deux principales banques en faillite au début de la crise ont une longue histoire. En effet, la Fannie Mae, créée en 1968, d’origine publique, avait pour objectif, lorsque la décision fut prise de la coter en bourse, de financer la guerre du Vietnam. En 1980, est créée la Freddie Mac qui est venue compléter le rôle de la première.

L’objectif de ces deux banques était d’assurer la transparence du marché immobilier en garantissant les prêts immobiliers ou en les rachetant aux banques. Ainsi que le rapporte le journal Le Monde Diplomatique, en 1990, les deux institutions détenaient 740 milliards de dollars de crédit.

Dans les prévisions, ce chiffre devait atteindre 1250 milliards de dollars en 1995 et dépasser 2000 milliards de dollars en 2005. A la veille de leur nationalisation récente, leur portefeuille était de 5 400 milliards de dollars soit 45% de l’encours total du crédit immobilier aux Etats-Unis.

Dans le même temps, les deux sociétés soutenaient 97% des titres adossés à des prêts hypothécaires. Avec le soutien d’Alain Greenspan, ancien directeur de la Réserve fédérale américaine (Fed) qui affirmait en 2004 qu’« une baisse sévère du marché immobilier était peu probable aux Etats-Unis… ». cet enthousiasme et ces déclarations ont soutenu l’investissement dans les actions et obligations des deux banques qui connurent un âge d’or sans précédent.

Mais cette croissance était déjà entachée de nombreuses irrégularités et fraudes qui ont conduit dans les années 2004-2006 à la condamnation de chacune d’elles à des amendes. En réalité, d’un rôle qui devait permettre au plus grand nombre d’américains d’avoir accès à la propriété immobilière, les deux géants ont plutôt cherché à maximiser les revenus de leurs actionnaires et principalement de leurs dirigeants. A titre d’exemple, rapporte Le Monde, le salaire de chacun des patrons de ces deux banques était de 70 millions de dollars par an.

Elles étaient devenues tellement puissantes qu’elles influaient sur les décisions du Congrès en matière réglementaire. C’est dans ce contexte que les deux banques ont accumulé les dettes, et les « marchés » constatèrent la « catastrophe » : d’où la crise. En effet, en 12 mois, les deux sociétés avaient accumulé des pertes de 14 milliards de dollars et dans le même temps leurs actions avaient perdu plus de 90% de leur valeur. Elles devaient rembourser une dette de 1600 milliards de dollars dont 230 milliards venaient à échéance fin septembre.

Les grandes banques, par souci de protection, ont refusé de leur octroyer de nouveaux crédits ou tout simplement ont préconisé le relèvement des taux d’intérêt. Il y a eu d’autres opérations plus complexes dans le même secteur immobilier qui ont fini par saper l’ensemble du système financier américain.

(1) Les prêts hypothécaires aux Etats-Unis remontent aux New Deal. Ce dernier, lui-même, était un programme de relance de l’économie après la crise de 1929.

C’est dans ce contexte que le Trésor américain est intervenu, début septembre, pour leur injecter 200 milliards de dollars. Ce fut les premières nationalisations qui ont fait dire au sénateur républicain du Kentucky, Jim Bunning, dans son interpellation du Secrétaire au Trésor, ceci : « Quand j’ai ouvert mon journal hier, j’ai cru que je m’étais réveillé en France. Mais non, il s’avère que le socialisme règne en maître en Amérique ».

c) La troisième cause est la hausse du prix du pétrole qui a renchéri les coûts de production des entreprises industrielles, entraînant une baisse de compétitivité ; l’augmentation des prix ; une baisse de la consommation des biens durables des ménages ; une « chute libre » de l’investissement résiduel et l’accumulation de stocks invendus par les entreprises. Toutes choses qui ont réduit la croissance économique du pays. Inexorablement, on s’est acheminé vers une réduction des emplois. On sait que depuis 2001, environ 30% de l’augmentation des emplois aux Etats-Unis est liée à l’immobilier (cf. AFP du 23/08/08 : les USA : l’ampleur du ralentissement immobilier commence à devenir inquiétante et également USA : le ralentissement immobilier risque de déteindre sur toute l’économie ; AFP du 24/08/08).

d) Le renforcement des oligopoles et monopoles au détriment de la concurrence.

e) La forte concentration mondiale des fortunes entre les mains d’une minorité.

f) Le développement de la spéculation financière qui a pris une ampleur sans précédent dans l’histoire du système capitaliste mondial, favorisé par un système libéral sans gouvernail.

1.2. Les causes militaro-financières

Dans son discours d’adieu du 17 janvier 1961, le président (et ancien général) Dwight Eisenhower avertit les américains que le lobby militaro-industriel pourrait faire planer un jour une menace sur la liberté et la démocratie. Il disait en substance : « La présence simultanée d’un énorme secteur militaire et d’une vaste industrie de l’armement est un fait nouveau dans notre histoire. Cette combinaison de facteurs a des répercussions d’ordre politique, économique et même spirituel, perceptibles dans chacune de nos villes, dans les chambres législatives de chacun des Etats qui constituent notre pays, dans chaque bureau de l’administration fédérale.

Certes, cette évolution répond à un besoin impérieux. Mais nous nous devons de comprendre ce qu’elle implique, car ses conséquences sont graves. Notre travail, nos ressources, nos moyens d’existence sont en jeu, et jusqu’à la structure même de notre société.

Dans les organes politiques, nous devons veiller à empêcher le complexe militaro-industriel d’acquérir une influence injustifiée, qu’il l’ait ou non consciemment cherchée. Nous nous trouvons devant un risque réel, qui se maintiendra à l’avenir : qu’une concentration désastreuse de pouvoir en des mains dangereuses aille en s’affermissant.

Nous devons veiller à ne jamais laisser le poids de cette association de pouvoirs mettre en danger nos libertés ou nos procédures démocratiques. Nous devons nous garder contre le risque de considérer que tout va bien parce que c’est dans la nature même des choses.

Seul un ensemble uni de citoyens vigilants et conscients réussira à obtenir que l’immense machine industrielle et militaire qu’est notre secteur de la défense nationale s’ajuste sans grincement à nos méthodes et à nos objectifs pacifiques, pour que la sécurité et la liberté puissent prospérer ensemble ».

- De façon concrète, cela s’est traduit au début de ce 21e siècle par un excès de financement des guerres contre le terrorisme (Irak, Afghanistan, etc.). Le déficit budgétaire des USA en 2003 était de 455 milliards de dollars. L’occupation de l’Irak coûte aux contribuables américains, 1 milliard de dollars par semaine. En extrapolant, nous avons 52 milliards de dollars par an, soit 260 milliards de dollars durant les cinq premières années de la guerre.

- A l’actif de ces lobbys militaro-financiers, il faut noter les boucliers antimissiles en Europe, et dont les experts en la matière s’accordent à reconnaître le coût très élevé de l’opération. Il en est résulté comme solde de tout compte, des conséquences désastreuses sur l’économie mondiale et le développement de dizaines de nations démunies de tout instrument de protection et de réplique.

2- Les mesures d’urgence et leurs efficacités

Il est aujourd’hui difficile de prévoir toute l’ampleur de cette crise financière sur l’ensemble du système économique international. Les mesures d’urgence actuelles semblent dans les premiers jours avoir redonné confiance aux marchés et aux agents économiques. Toutefois, on peut se poser la question : pour combien de temps ?

Quoi qu’il en soit, il est certain que ces mesures relatives aux rachats des titres des banques par l’Etat ou à la nationalisation de certaines institutions financières n’arrêteront pas les incertitudes ou les risques systémiques. Le problème fondamental étant qu’il s’agit d’une crise structurelle du système capitaliste et non comme les crises précédentes (dont nous en avons parlé) de crise conjoncturelle.

Dans la situation actuelle, seule une approche systémique ou multidimensionnelle permettra de comprendre les différents contours de ce problème. Pour ce faire, essayons de dégager les principales raisons des difficultés de la réussite de ces nationalisations précipitées :

2.1. Raisons des difficultés pour l’impact des mesures d’urgence

De nombreuses raisons expliquent l’inadaptation, voire l’inefficacité des mesures d’urgence actuelles. Parmi celles-ci, il y a :

a) L’injection de quantité de monnaie au système financier et la baisse probable des taux d’intérêts pour relancer la dynamique économique. De telles mesures peuvent accélérer les tensions inflationnistes déjà manifestes tout au long de l’année 2008 ;

b) les fluctuations assez fortes du prix du baril de pétrole et les incertitudes quant à l’évolution des cours peuvent faire échouer ce programme de renflouement des caisses. La conséquence sera l’augmentation des coûts de production ;

c) l’existence d’un fort taux de chômage dû aux chocs successifs précédents qui exclut de nombreux ménages de la consommation ;

d) l’inadaptation du système monétaire international actuel. C’est un système qui ne correspond plus aux réalités d’après guerre avec le leadership américain. Aujourd’hui, il y a de nouvelles puissances économiques : Japon, Chine, Inde, Russie, sans oublier l’Union européenne. Le dollar ne peut plus continuer à être la monnaie de réserve ou de paiement du monde ; e) le trop grand endettement des Etats-Unis vis-à-vis des pays comme la Chine, et de façon générale, du reste du monde ;

f) les incertitudes à court terme du candidat qui sera élu comme président des USA. Etant entendu que si c’est le républicain McCain qui arrive au pouvoir, il poursuivra la même politique militaro-financière de son prédécesseur. Dans tous les cas, la situation présente ne projette pas des thérapeutiques capables de lever les inquiétudes au niveau mondial. Depuis des années, le système néolibéral est à bout de souffle et les remèdes actuels ne sont que des palliatifs qui ne peuvent pas guérir le mal.

2.2. Evolution de la situation aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, 84 sociétés de crédits hypothécaires ont fait faillite ou cessé leur activité entre janvier et le 17 août 2007, contre seulement 17 sur toute l’année 2006. La Carlyse Capital Corporation (CCC), très proche de la famille Bush, s’est effondrée et ses dettes représentent 32 fois ses fonds propres. Tous ces faits sont rapportés par le Journal « Le Grand Soir », journal militant d’information alternative.

Selon l’économiste en chef de Morgan Stanley, ce serait une « grave » erreur d’anticiper un taux de croissance mondiale de 4,8% pour les trois prochaines années. Poursuivant son analyse, il estime que le principal moteur de la croissance mondiale, les Etats-Unis, est au ralenti. Il note que le marché de l’emploi est en baisse de 35% au cours des quatre derniers mois par rapport à la moyenne depuis 2004.

Dans l’immobilier, la chute dans la construction a déjà englouti 1% de la croissance du PIB au cours des trois dernières années. Ces faillites en cascade et ce chômage vont avoir des répercussions sur le reste de l’économie internationale, car, en fait, la croissance mondiale n’était qu’un mirage en ce sens qu’au cours des quatre dernières années, elle n’a jamais été soutenue.

C’était le résultat de l’excès de cycle de liquidité, dû à des mesures d’urgence anti-inflationnistes prises par les grandes banques centrales du monde. Finalement, la croissance qui s’en est suivie a été le fait d’une domination de la demande de consommation des américains.

2.3. Les répercussions dans les autres pays développés et émergents

Pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle sur le reste du monde, il faut savoir que l’économie mondiale reste fortement et de plus en plus dépendante des dépenses de consommation comme source de la demande finale. Dans la zone euro, le taux de croissance au départ estimé à 2,5% pourrait ne pas dépasser 1,5% sinon être négatif de l’ordre de 0,5%.

Les analystes pensent que l’économie japonaise, quelle que soit sa force, ne pourra combler le gouffre laissé par les Américains. Il est à penser que le taux de croissance du pays qui, au départ était envisagé comme positif, pourrait lui aussi connaître une croissance négative en 2008 et 2009.

Malgré l’optimisme qui règne à l’heure actuelle en Europe, la crise financière pourra avoir des conséquences plus désastreuses qu’aux Etats Unis et de façon plus prolongée, car il s’agit d’effets rampants (contagion lente mais certaine). Le Dow Jones a enregistré depuis 75 ans sa plus grande perte soit 18% durant la semaine du 6 au 12 octobre 2008.

Qu’adviendrait-il de la Chine et du Japon ?

Au cours des dix dernières années, le taux de croissance économique asiatique a été plus élevé que celui des USA, mais la part des exportations de la région vers les USA est restée identique. En d’autres termes, les économies de la zone asiatique sont devenues plus dépendantes de la demande des consommateurs américains. Donc, elles ne pourront parer à la crise, au contraire elles en seraient profondément affectées.

L’ampleur de cette dépendance est indiquée par les données des exportations. En 2005, 32% des exportations de marchandises de la Chine sont allées aux Etats-Unis ainsi que 23% de celles du Japon et 20% de celles des 10 pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Selon Fabio lo Verso dans Le Courrier du 22 janvier 2008, www.lecourrier.ch.

« Pékin a uni son destin à Washington, en alignant le yuan au dollar. L’Etat communiste détient en outre dans ses réserves quelque 1200 milliards de dollars en forme de bons du Trésor américain. Il finance, de ce fait, la consommation américaine ». En un mot, les deux puissances forment une même zone économico-monétaire. Si l’un se noie, l’autre suivra.

De façon spécifique, il faut savoir que la Chine est engagée à hauteur de 395,9 milliards dans Fannie Mae et Feddie Mac, le Japon pour 228,2 milliards de dollars, la Russie, pour 75,3 milliards de dollars, la Corée du Sud, pour 63 milliards de dollars, Taïwan, pour 54,9 milliards de dollars, rapporte le Journal français « Le Monde Diplomatique » octobre 2008.

On comprend pourquoi la crise du « lundi noir 2008 » risque d’être plus grave que celle du « jeudi noir 1929 », compte tenu de ce qui est appelé depuis plus d’une décennie, la globalisation. Pour s’en convaincre, prenons quelques dépêches d’agence, notamment l’AFP. Selon cette Agence d’information, Général Motors envisage de vendre son siège de Détroit.

La Bank of America, qui est la première banque américaine, a vu la valeur de ses titres chuter de 26,23% ; le Nasdaq, à dominance technologique, a perdu 100,08 points dans la journée du 07/08/08. Cette crise n’a pas épargné les bourses du Moyen Orient, notamment l’Arabie Saoudite qui a clôturé avec une baisse de 7% et l’Egypte de 16,47% le même jour.

Les mesures de renflouement actuelles à coups de milliards de dollars ou d’euros seront-elles suffisantes pour ramener le système sur sa trajectoire de croissance de long terme ? La reprise actuelle des valeurs boursières ne suffit pas à être optimiste, car il s’agit d’un simple plan de secours pour éviter un naufrage collectif du système financier international. Il y aura des séquelles et c’est ce que nous allons examiner maintenant.

3- Les prolongements de la crise financière

Les incidences à moyen et long terme de cette crise financière seront à la fois d’ordre économique, social et politique. Nous examinerons les deux premiers seulement en laissant le soin aux politologues de tirer les conséquences politiques.

3.1. Incidences économiques

Au plan économique, les mesures actuelles ont eu pour conséquence d’éviter la propagation, le prolongement de la crise financière au marché boursier où sont cotés les titres des principales sociétés industrielles et technologiques. Ce qui donne un nouveau souffle pour différer les effets économiques. Mais, il faut se souvenir que le système économique lui-même est en crise depuis quelques années et la plupart des pays de l’OCDE revoient chaque année à la baisse les prévisions optimistes des taux de croissance du PIB. Cette année, ce taux se situerait aux environs de 1,2 à 1,4%.

Quoi qu’il soit, en théorie, et disons même en pratique, une crise financière est souvent suivie d’une crise économique. Cela est expliqué en partie par des motifs psychologiques et de précaution à la fois de la part des ménages pour la consommation et des entrepreneurs pour l’investissement.

Dans la situation présente, l’excès de liquidité sur le marché financier et la baisse probable des taux d’intérêts pour rendre le crédit plus facile en vue de relancer l’investissement et la consommation peuvent accélérer les tensions inflationnistes. Au plan fiscal, la plupart des pays ont des problèmes budgétaires et les mesures actuelles peuvent aggraver ces déficits.

Le contexte actuel favorise la propension aux monopoles, suite aux faillites de certaines sociétés et au rachat par celles qui ont pu résister à la tempête. Au plan du commerce international, il y aura probablement une baisse de la demande de matières premières. Une telle situation pourrait ruiner les plans de développement de nombreux pays africains déjà fortement dépendants de l’aide internationale.

Enfin, on pourra noter d’éventuelles baisses de taux horaire de salaire, ce qui serait en contradiction avec le souci de l’Etat d’amener les ménages à consommer plus à travers la baisse des taux d’intérêt.

3.2. Incidences sociales

La socialisation des pertes et la privatisation des profits par les lobbys militaro-industrialo-financiers montre à quel point les responsables politiques des pays développés se soucient très peu de l’avenir de leurs concitoyens. En effet, il résulterait des conséquences économiques précédentes, une baisse du niveau d’emploi, un fort taux de chômage (nombreux licenciements). Devant le souci de l’Etat de vouloir sauver de nombreuses sociétés financières et industrielles, il n’est pas exclu que des secteurs sociaux entiers soient abandonnés ou voient la part budgétaire qui leur était consacrée diminuer (santé, éducation, aide aux personnes démunies, etc.).

Déjà, la nationalisation de plusieurs banques avec des fonds publics constitue un coût pour la société et singulièrement pour les agents économiques les plus pauvres. A titre d’exemple, le renflouement de la banque franco-belge DIXIA coûte 100 euros par Français. L’injection de 360 milliards d’euros par la France sera un lourd fardeau pour les pauvres. C’est pourquoi certains ont pu dire qu’il s’agit pour le capital de « privatiser plus les profits et de socialiser les dettes ». Historiquement, on sait aussi que le capitalisme, c’est la guerre pour la conquête de plus d’espace pour son expansion.

Du fait de l’existence au pouvoir dans certains pays occidentaux de coalitions militaro-industrialo- financiers, il n’est pas exclu qu’il y ait des tendances guerrières comme en 1929, afin d’ouvrir de nouveaux marchés à leurs économies dans le but de refaire un nouveau partage du monde. Toutefois, ce scénario est réalisable, mais peu probable, car il peut conduire à la destruction du monde compte tenu des potentiels militaires en présence.

La plus grande probabilité, c’est des conflits localisés genre Irak, Afghanistan, etc. La relance de l’industrie de l’armement pourrait être une source de relance des économies en faillite. Pour qu’il en soit ainsi, il faut que ces militaro-industriels élargissent le champ des « nouveaux Etats voyous » ou l’« axe du mal » (Iran, Venezuela, etc.) pour justifier leurs interventions.

Enfin, cette crise sera rejetée sur les immigrés qui verront leurs conditions de vie devenir plus précaires avec un accroissement du nombre de charters remplis d’Africains, à destination de leur pays.

Conclusion

Dans le contexte actuel, il y a deux problèmes : les mesures d’urgence qui sont celles prises à l’heure actuelle pour redonner une confiance aux épargnants afin qu’ils ne se bousculent pas aux portes des banques pour retirer leur argent, ce qui va accélérer la crise financière avec des faillites en cascades ; et les mesures de long terme qui reposent sur une réforme fondamentale du système monétaire international qui prendra en compte les nouvelles monnaies fortes autres que le dollar, à savoir l’euro, le yen japonais et le yuan chinois.

Par ailleurs, toute une réflexion doit être faite en ce qui concerne la croissance fondée sur le libéralisme total avec comme support la monnaie (l’offre) telle qu’elle a été menée au cours des trente dernières années et le retour au keynésianisme basé sur un capitalisme ponctué par l’intervention de l’Etat, en d’autres termes, une « économie mixte ».

Nous ne pouvons terminer cet article sans nous interroger sur deux questions théoriques : que deviennent les théories des cycles et notamment le cycle long de 50 ans, le Kondratiev ? Logiquement, la crise aurait dû se produire en 1979 et éventuellement avec une probabilité en ± 10% soit en 1974 ou en 1984. Or, elle s’est produite 29 ans plus tard soit une erreur de 58%. La seconde question qui est pendante à la première est : quelle a été l’influence de la théorie quantitative de la monnaie dans ce retard de la crise ? Bien sûr nous n’avons pas de réponse, c’est une invite des économistes à la réflexion. En résumé, la crise financière actuelle, même si momentanément elle est jugulée, aura des conséquences certaines à moyen terme sur les tendances d’évolution de l’économie mondiale.

Au regard des interactions dont nous avons parlé plus haut, quoi qu’il en soit, à court terme, les incertitudes vont se poursuivre en attendant le nouveau locataire de la « Maison Blanche » aux Etats-Unis. Il faut savoir aussi que la crise ne se résoudra pas par de simples injections financières, mais par la découverte de nouvelles théories économiques, conduisant à de nouvelles politiques économiques. Nous analyserons les conséquences sur les économies africaines et notamment celles au sud du Sahara dans le prochain numéro.

Par Taladidia Thiombiano, Professeur d’Economie, Université de Ouagadougou

L’Observateur Paalga